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61. A L'ÉLECTRICE MARIE-ANTONIE DE SAXE.

8 mars 1766.



Madame ma sœur,

Votre Altesse Royale parle mieux morale que les plus célèbres professeurs en philosophie. C'est, madame, que vous avez ces sentiments imprimés dans le cœur, et que la plupart de ceux qui en font des leçons ne les ont que sur les lèvres. Sans doute, madame, qu'aucune société ne peut subsister sans justice. Ne faites aux autres que ce que vous voulez qu'ils vous fassent; ce principe renferme toute la vertu, et les devoirs de l'homme envers la société où il est placé.a De là dérive ce droit public si célèbre dans les universités germaniques, mais que le droit du canon écrase presque toujours. Ainsi, madame, la raison et la passion des hommes sont sans cesse en contradiction, et ce que l'une établit, l'autre le bouleverse. Pour ceux, madame, qui sont à la tête des gouvernements, je crois qu'il faut les entendre avant de les condamner. Je ne regarde point ces gens comme despotes; s'ils le sont, c'est par abus. Leur institution les rend les premiers magistrats de la nation,b et leur devoir essentiel est de soutenir autant qu'il est en eux l'avantage de cette nation, s'entend la sûreté des possessions, qui est le premier droit de tout citoyen, ensuite de la protéger contre les entreprises des voisins qui tâchent de lui nuire, et enfin de la défendre contre la force et la violence de ses ennemis. Or, madame, chargez l'homme le plus doux et le plus désintéressé de cet emploi, vous conviendrez que, pour remplir ses devoirs, il doit agir d'une manière différente que son naturel lui en donne l'inclination; c'est comme un tuteur qui, généreux de son propre bien, est avare de celui de son pupille. Voilà l'idée, madame, que je me fais de l'emploi des souverains, et sur cela, dans ma petite sphère, j'agis en conséquence. Oui, madame, je vous estime et vous honore, et je vous sacrifierais tout ce qui est à mon individu, hors cette tutelle dont je suis


a Voyez t. IX, p. 186.

b Voyez t. I, p. 142; t. VIII, p. 72, 190 et 335; et t. IX, p. 225.