560. A VOLTAIRE.456-a

Le 13 août 1777.

Je reçois vos deux jolies lettres la veille de mon départ pour la Silésie, de sorte que je me hâte de vous répondre. J'avais cru que, les oracles étant dans leur origine rendus en vers, Apollon inspirait tous les poëtes; mais il n'inspire que les Voltaire et les Virgile, et les poëtes obotrites prédisent de travers, comme il m'est quelquefois arrivé. Je dis : Tant pis pour l'Empereur s'il ne vous a pas vu; des ports de mer, des vaisseaux, des arsenaux se trouvent partout; mais il n'y a qu'un Voltaire que notre siècle ait produit, et quiconque a pu l'entendre, et ne l'a pas fait, en <405>aura des regrets éternels. Mais j'ai appris de bonne part, de Vienne, que l'Impératrice a défendu à son fils de voir le vieux patriarche de la tolérance.

Les Suisses font sagement de réformer leurs lois, si elles sont trop sévères; cela est déjà fait chez nous. J'ai aussi médité sur cette matière pour ma propre direction; j'ai même barbouillé quelque bagatelle sur le gouvernement,456-b que je vous enverrai à mon retour, sous le sceau du secret. S'il s'agit de contribuer au bien public, aux progrès de la raison, je m'y prêterai avec plaisir. La banque vous fera passer par Neufchâtel l'argent nécessaire pour le prix proposé par messieurs les Suisses.456-c Tout homme doit s'intéresser au bien de l'humanité.

Vous savez que je ne me suis jamais rendu garant du duc de Würtemberg; je le connais pour ce qu'il est; si vous croyez que mon intercession puisse vous être utile, j'écrirai volontiers à ce prince, quoique vous sachiez tout comme moi que, à l'exemple des grandes puissances, il a embrouillé le système de ses finances de telle sorte, que peut-être ses arrière-héritiers seront occupés à payer ses dettes. J'attends votre réponse sur cet article.

Je pars pour la Silésie, où je m'occuperai de la justice, qui veut être veillée et surveillée; j'aurai des arrangements de finance à prendre, des défrichements à examiner, des affaires de commerce à décider, des troupes à voir, et des malheureux à soulager; je ne pourrai finir ma tournée que vers le 4 ou 5 du mois prochain, vers lequel temps je me flatte d'avoir votre réponse. Si ma lettre est courte, ne l'attribuez qu'au voyage que je dois faire. Il faudrait avoir le cerveau bien desséché et bien stérile pour manquer de matière quand on écrit à Voltaire, surtout <406>quand on chérit ses ouvrages, et l'estime autant que le fait le Philosophe de Sans-Souci. Vale.


456-a Œuvres posthumes, t. IX, p. 344-346.

456-b Essai sur les formes de gouvernement et sur les devoirs des souverains. Voyez t. IX, p. 221-240 de notre édition.

456-c La Gazette de Berne, du 15 février 1777, proposa un prix de cinquante louis en faveur du meilleur mémoire sur cette question : « Composer et rédiger un plan complet et détaillé de législation sur les matières criminelles, sous ce triple point de vue : 1o des crimes et des peines proportionnées qu'il convient de leur appliquer; 2o de la nature et de la force des preuves et des présomptions; 3o de la manière de les acquérir par la voie de la procédure criminelle, en sorte que la douceur de l'instruction et des peines soit conciliée avec la certitude d'un châtiment prompt et exemplaire, et que la société civile trouve la plus grande sûreté possible pour la liberté et l'humanité. »