417. DU MÊME.

Ferney, 4 mai 1770.

Sire, je me flatte que votre santé est entièrement raffermie; je vous ai vu autrefois vous faire saigner à cloche-pied immédiatement après un accès de goutte, et monter à cheval le lendemain; vous faites encore plus aujourd'hui; vos Dialogues à la Marc-Aurèle sont fort au-dessus d'une course à cheval et d'une parade.

Je ne sais si V. M. est encore autant dans le goût des tableaux qu'elle est dans celui de la morale. L'impératrice de Russie en fait acheter à présent de tous les côtés; on lui en a vendu pour cent mille francs à Genève; cela fait croire qu'elle a de l'argent de reste pour battre Mustapha. Je voudrais que vous vous amusassiez à battre Mustapha aussi, et que vous partageassiez avec elle; mais je ne suis chargé que de proposer un tableau à V. M., et nullement la guerre contre le Turc. M. Hennin, résident de France à Genève, a le tableau des trois Grâces, de Vanloo, haut de six pieds, avec des bordures. Il le veut vendre onze mille livres; voilà tout ce que j'en sais. Il était destiné pour le feu roi de Pologne. S'il convient à votre nouveau palais, vous n'avez qu'à ordonner qu'on vous l'envoie, et voilà ma commission faite.

Comme j'ai presque perdu la vue au milieu des neiges du mont Jura, ce n'est pas à moi à parler de tableaux. Je ne puis <155>guère non plus parler de vers dans l'état où je suis; car, si V. M. a eu la goutte, votre vieux serviteur se meurt de la poitrine. Nous avons l'hiver pour printemps dans nos Alpes. Je ne sais si la nature traite mieux les sables de Berlin, mais je me souviens que le temps était toujours beau auprès de V. M. Je la supplie de me conserver ses bontés, et de n'avoir point de goutte. Je suis plus près du paradis qu'elle, car elle n'est que protectrice des jésuites, et moi, je suis réellement capucin; j'en ai la patente avec le portrait de saint François, tiré sur l'original.

Je me mets à vos pieds, malgré mes honneurs divins.

Frère François Voltaire.