<391>des bigots, vous pourriez vous réfugier en Suisse, où vous seriez à l'abri de toute persécution. Pour les désagréments dont vous vous plaignez à l'égard de vos nouveaux établissements de Ferney, je les attribue à l'esprit de vengeance des commis de vos financiers, qui vous haïssent à cause du bien que vous avez voulu faire au pays de Gex en le dérobant un temps à la voracité de ces gens-là.

Quant à ce point, je vous avoue que je suis embarrassé d'y trouver un remède, parce qu'on ne saurait inspirer des sentiments raisonnables à des drôles qui n'ont ni raison ni humanité. Toutefois soyez persuadé que si la terre de Ferney appartenait à Apollon même, cette race maudite ne l'eût pas mieux traitée. Quelle honte pour la France de persécuter un homme unique qu'un destin favorable a fait naître dans son sein, un homme dont dix royaumes se disputeraient à qui pourrait le compter parmi ses citoyens, comme jadis tant de villes de la Grèce soutenaient qu'Homère était né chez elles! Mais quelle lâcheté plus révoltante de répandre l'amertume sur vos derniers jours! Ces indignes procédés me mettent en colère, et je suis fâché de ne pouvoir vous donner des secours plus efficaces que le souverain mépris que j'ai pour vos persécuteurs. Mais Maurepas n'est pas dévot; la Reine n'est rien moins que cela;a M. de Vergennes se contente d'entendre la messe quand il ne peut pas se dispenser d'y aller; Necker est hérétique : de quelle main peut donc partir le coup qui vous accable? L'archevêque de Paris est connu pour ce qu'il est, et j'ignore si son mentor ex-jésuite est encore auprès de lui; personne ne connaît le nom du confesseur du Roi : le diable incarné dans la personne de l'évêque du Puyb aurait-il excité cette tempête? Enfin, plus j'y pense, et moins je devine l'auteur de cette tracasserie.

Je n'ai point vu cet ouvrage sur la Chine dont vous me parlez. J'ajoute d'autant moins de foi à ce qui nous vient de contrées aussi éloignées, qu'on est souvent bien embarrassé de ce qu'on doit croire des nouvelles de notre Europe.


a Les mots « la Reine n'est rien moins que cela » sont tirés des Œuvres posthumes, t. IX, p. 337.

b Voyez t. XV, p. IV, V, et 37.