<358>mènes. J'attribue la pensée aux cinq sens que la nature nous a donnés; les connaissances qu'ils nous communiquent s'impriment dans les nerfs qui en sont les messagers; ces impressions que nous appelons mémoire nous fournissent les idées; la chaleur du feu élémentaire, qui tient le sang dans une agitation perpétuelle, réveille ces idées, occasionne l'imagination. Selon que ce mouvement est vif et facile, les pensées s'y succèdent rapidement; si le mouvement est lent et embarrassé, les pensées ne viennent que de loin à loin. Le sommeil confirme cette opinion; quand il est parfait, le sang circule si doucement, que les idées sont comme engourdies, que les nerfs de l'entendement se détendent, et que l'âme demeure comme anéantie. Si le sang circule avec trop de véhémence dans le cerveau, comme chez les ivrognes, ou dans les fièvres chaudes, il confond, il bouleverse les idées; si quelque légère obstruction se forme dans les nerfs du cerveau, elle occasionne la folie; si une goutte d'eau se dilate dans le crâne, la perte de la mémoire s'ensuit; si enfin une goutte de sang extravasé presse le cerveau et les nerfs de l'entendement, voilà la cause de l'apoplexie.

Vous voyez que j'examine l'âme plutôt en médecin qu'en métaphysicien; je m'en tiens à ces vraisemblances, en attendant mieux. Je me contente de jouir des fruits de votre entendement, de votre imagination renaissante, de votre beau génie, sans m'embarrasser si ces dons admirables vous viennent d'idées innées, ou si Dieu vous inspire toutes vos pensées, ou si vous êtes une horloge dont le cadran montre Henri IV, tandis que votre carillon sonne la Henriade.

Qu'un autre se fasse un labyrinthe pour s'y égarer, je me délecte dans vos ouvrages, et je bénis l'Être des êtres de ce qu'il m'a rendu votre contemporain.

Je n'ai pu vous écrire de longtemps; je sors de mon quatorzième accès de goutte. Jamais elle ne m'a plus maltraité; je suis à demi perclus de tous mes membres. Cela ne m'a pas empêché de voir Morival, et de m'entretenir longuement sur votre sujet; il faut bien que nous fêtions nos martyrs; ils souffrent pour la vérité, et les autres n'ont été que les victimes de l'erreur et de la superstition. Je m'attends de jour à autre que Morival fera des