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526. DU MÊME.

(Ferney) 3 août 1775.

Le Kain, dans vos jours de repos,
Vous donne une volupté pure.
On le prendrait pour un héros;
Vous les aimez même en peinture.
C'est ainsi qu'Achille enchanta
Les beaux jours de votre jeune âge.
Marc-Aurèle enfin l'emporta :
Chacun se plaît dans son image.

Le plus beau des spectacles, Sire, est de voir un grand homme, entouré de sa famille, quitter un moment tous les embarras du trône pour entendre des vers, et en faire, le moment d'après, de meilleurs que les nôtres. Il me paraît que vous jugez très-bien l'Allemagne, et cette foule de mots qui entrent dans une phrase, et cette multitude de syllabes qui entrent dans un mot, et ce goût qui n'est pas plus formé que la langue; les Allemands sont à l'aurore; ils seraient en plein jour, si vous aviez daigné faire des vers tudesques.

C'est une chose assez singulière que Le Kain et mademoiselle Clairon soient tous deux à la fois auprès de la maison de Brandebourg. Mais, tandis que le talent de réciter du français vient obtenir votre indulgence à Sans-Souci, Gluck vient nous enseigner la musique à Paris. Nos Orphées viennent d'Allemagne, si nos Roscius vous viennent de France. Mais la philosophie, d'où vient-elle? De Potsdam, Sire, où vous l'avez logée, et d'où vous l'avez envoyée dans la plus grande partie de l'Europe.

Je ne sais pas encore si notre roi marchera sur vos traces, mais je sais qu'il a pris pour ses ministres des philosophes, à un seul près, qui a le malheur d'être dévot.a

Nous perdons le goût, mais nous acquérons la pensée; il y a surtout un M. Turgot, qui serait digne de parler avec V. M. Les prêtres sont au désespoir. Voilà le commencement d'une grande révolution. Cependant on n'ose pas se déclarer ouvertement; on


a Le comte de Muy.