<287>Que je gémisse ou non de voir la patrie d'Homère en proie à des Turcs venus des bords de la mer d'Hyrcanie, que je vous prie d'avoir la bonté de les chasser et de mettre des Alcibiades en leur place, il n'en sera ni plus ni moins, et les Turcs n'en sauront rien. Mais qu'il vous prenne envie d'étendre votre puissance vers l'orient ou vers l'occident, alors la chose devient sérieuse, et malheur à qui s'y opposerait!

L'Épître à Ninon est réellement du comte de Schuwaloff, neveu du Schuwaloff dernier amant de l'impératrice Élisabeth; ce neveu a été élevé à Paris, et a d'ailleurs beaucoup d'esprit et beaucoup de goût. On ne s'attendait pas, il y a cinquante ans, qu'un jour un Russe ferait si bien des vers français; mais il a été prévenu par un roi du Nord qui lui a donné de grands exemples. Je ne connais point la satire intitulée Louis XV aux champs Élysées, et je ne crois pas qu'elle existe. Il paraît un recueil des lettres du feu mylord Chesterfield à un fils bâtard qu'il aimait comme madame de Sévigné aimait sa fille. Il est très-souvent parlé de vous dans ces lettres; on vous y rend toute la justice que la postérité vous rendra.a

Le suffrage du lord Chesterfield a un très-grand poids, non seulement parce qu'il était d'une nation qui ne songe guère à flatter les rois, mais parce que de tous les Anglais c'est peut-être celui qui a écrit avec le plus de grâce. Son admiration pour vous ne peut être suspecte; il ne se doutait pas que ses lettres seraient imprimées après sa mort et après celle de son bâtard. On les traduit en français en Hollande; ainsi V. M. les verra bientôt. Elle lira le seul Anglais qui ait jamais recommandé l'art de plaire comme le premier devoir de la vie.

Je me souviens toujours que ma plus grande passion a été de vous plaire; elle est actuellement de ne vous pas déplaire. Tout s'affaiblit avec l'âge; plus on sent sa misère, plus on est modeste.

Votre vieux admirateur.


a Lettres du comte de Chesterfield à son fils Philippe Stanhope, envoyé extraordinaire à la cour de Dresde, lettre 142, du 10 janvier (vieux style) 1749. Voyez notre t. III, p. 100 et 101; t. XVII, p. 291; et t. XVIII, p. 108.