<284>dant ne comptez que zéro le crédit que je puis avoir en France; je n'y connais personne. J'ai vu M. de Vergennes il y a vingt ans, comme il passait pour aller en Pologne, et ce n'en est pas assez pour s'assurer de son appui. Enfin, vous en userez dans cette affaire comme vous le trouverez convenable au bien du jeune homme.

J'ai vu jouer Aufresne sur notre théâtre. Il a joué les rôles de Coucy et de Mithridate.a On m'a dit qu'il avait été à Ferney; aussitôt je l'ai fait venir pour l'interroger sur votre sujet; il m'a dit qu'il vous avait trouvé alité et urinant du sang. Ces paroles m'ont saisi; mais il ajouta que vous aviez déclamé quelques rôles avec lui, et je me suis rassuré.

Tant que vous fulminerez avec tant de force contre cet art que vous appelez infernal, vous vivrez; et je ne croirai votre fin prochaine que lorsque vous ne direz plus d'injures aux vengeurs de l'État, à des héros qui risquent leur santé, leurs membres et leur vie, pour conserver celle de leurs concitoyens. Puisque nous vous perdrions, si vous ne lâchiez de ces sarcasmes contre les guerriers, je vous accorde le privilége exclusif de vous égayer sur leur compte. Mais représentez-vous l'ennemi prêt à pénétrer aux environs de Ferney; ne regarderiez-vous pas comme votre dieu-sauveur le brave qui défendrait vos possessions, et qui écarterait cet ennemi de vos frontières?

Je prévois votre réponse. Vous avancerez qu'il est juste de se défendre, mais qu'il ne faut attaquer personne. Exceptez donc les exécuteurs des volontés des princes de ce que peuvent avoir d'odieux les ordres que leurs souverains leur donnent. Si Turenne et Lou-vois ont mis le Palatinat en cendres, si le maréchal de Belle-Isle osa proposer de faire un désert de la Hesse,b ces sortes de conseils sont l'opprobre éternel de la nation française, qui, quoique très-polie, s'est quelquefois emportée à des atrocités dignes des nations les plus barbares.

Observez cependant que Louis XV rejeta la proposition du


a Aufresne joua le rôle de Coucy le 5 juillet, et celui de Mithridate le 9. Le sire de Coucy est un des principaux rôles d'Adélaïde Du Guesclin, par Voltaire. Voyez t. XXII, p. 341.

b Voyez t. XV, p. XII et XIII, et p. 142-145.