<260>un des bosquets de mon jardin. J'y vais souvent me rappeler mes pertes, et le bonheur dont je jouissais autrefois.

Il y a plus d'un mois que je suis de retour de mes voyages. J'ai été en Prusse abolir le servage, réformer des lois barbares, en promulguer de plus raisonnables, ouvrir un canal qui joint la Vistule, la Netze, la Warthe, l'Oder et l'Elbe, rebâtir des villes détruites depuis la peste de 1709, défricher vingt milles de marais, et établir quelque police dans un pays où ce nom même était inconnu. De là j'ai été en Silésie consoler mes pauvres ignatiens des rigueurs de la cour de Rome,c corroborer leur ordre, en former un corps de diverses provinces où je les conserve, et les rendre utiles à la patrie en dirigeant leurs écoles pour l'instruction de la jeunesse, à laquelle ils se voueront entièrement. De plus, j'ai arrangé la bâtisse de soixante villages dans la Haute-Silésie, où il restait des terres incultes; chaque village a vingt familles. J'ai fait faire des grands chemins dans les montagnes pour la facilité du commerce, et rebâtir deux villes brûlées; elles étaient de bois, elles seront de briques, et même de pierres de taille tirées des montagnes.

Je ne vous parle point des troupes; cette matière est trop prohibée à Ferney pour que je la touche.

Vous sentirez que, en faisant tout cela, je n'ai pas été les bras croisés.

A propos de croisés, ni l'Empereur ni moi ne nous croiserons contre le croissant; il n'y a plus de reliques à remporter de Jérusalem. Nous espérons que la paix se fera peut-être cet hiver; et d'ailleurs nous aimons le proverbe qui dit : Il faut vivre et laisser vivre. A peine y a-t-il dix ans que la paix dure; il faut la conserver autant qu'on le pourra sans risque, et ni plus ni moins se mettre en état de n'être pas pris au dépourvu par quelque chef de brigands, conducteur d'assassins à gages.

Ce système n'est ni celui de Richelieu, ni celui de Mazarin; mais il est celui du bien des peuples, objet principal des magistrats qui les gouvernent.

Je vous souhaite cette paix, accompagnée de toutes les prospérités possibles, et j'espère que le Patriarche de Ferney n'ou-


c Clément XIV avait aboli l'ordre des jésuites le 21 juillet 1773.