<155>guère non plus parler de vers dans l'état où je suis; car, si V. M. a eu la goutte, votre vieux serviteur se meurt de la poitrine. Nous avons l'hiver pour printemps dans nos Alpes. Je ne sais si la nature traite mieux les sables de Berlin, mais je me souviens que le temps était toujours beau auprès de V. M. Je la supplie de me conserver ses bontés, et de n'avoir point de goutte. Je suis plus près du paradis qu'elle, car elle n'est que protectrice des jésuites, et moi, je suis réellement capucin; j'en ai la patente avec le portrait de saint François, tiré sur l'original.

Je me mets à vos pieds, malgré mes honneurs divins.

Frère François Voltaire.

418. A VOLTAIRE.

Charlottenbourg, 24 mai 1770.

Je vous crois très-capucin, puisque vous le voulez, et même sûr de votre canonisation parmi les saints de l'Église. Je n'en connais aucun qui vous soit comparable, et je commence par dire : Sancte Voltarie, ora pro nobis.

Cependant le saint-père vous a fait brûler à Rome. Ne pensez pas que vous soyez le seul qui ayez joui de cette faveur : l'Abrégé de Fleury a eu un sort tout semblable.a Il y a je ne sais quelle affinité entre nous qui me frappe. Je suis le protecteur des jésuites, vous des capucins; vos ouvrages sont brûlés à Rome, les miens aussi. Mais vous êtes saint, et je vous cède la préférence.

Comment, monsieur le saint, vous vous étonnez qu'il y ait une guerre en Europe dont je ne sois pas! Cela n'est pas trop


a Le bref du 1er mars 1770 condamne à la fois plusieurs ouvrages de Voltaire, et l'Abrégé de l'Histoire ecclésiastique de Fleury avec l'Avant-propos de Frédéric. Quant à ce dernier ouvrage, on lit dans l'Index librorum prohibitorum, Romae, 1841, p. 2 : Abrégé de l'Histoire ecclésiastique de Fleury (mendax titulus mendacissimi operis), traduit de l'anglais. Decr. SS. D. N. Clementis Papae XIV in Congr. S. Officii, I. Martii 1770. Voyez t. XIX, p. 166, et ci-dessus, p. 138.