174. A VOLTAIRE.

Berlin. 8 janvier 1742.

Mon cher Voltaire, je vous dois deux lettres, à mon grand regret, et je me trouve si occupé par les grandes affaires que les philosophes appellent des billevesées, que je ne puis encore penser à mon plaisir, le seul solide bien de la vie. Je m'imagine que Dieu a créé les ânes, les colonnes doriques, et nous autres rois, pour porter les fardeaux de ce monde, où tant d'autres êtres sont faits pour jouir des biens qu'il produit.

A présent me voilà à argumenter avec une vingtaine de Machiavels plus ou moins dangereux. L'aimable Poésie attend à la porte, sans avoir d'audience. L'un me parle de limites, l'autre, de droits; un autre encore, d'indemnisation; celui-ci, d'auxiliaires, de contrats de mariage, de dettes à payer, d'intrigues à faire, de recommandations, de dispositions, etc. On publie que vous avez fait telle chose à laquelle vous n'avez jamais pensé; on suppose que vous prendrez mal tel événement dont vous vous réjouissez; on écrit du Mexique que vous allez attaquer un tel, que votre intérêt est de ménager; on vous tourne en ridicule, on vous cri<84>tique; un gazetier fait votre satire; les voisins vous déchirent; un chacun vous donne au diable, en vous accablant de protestations d'amitié. Voilà le monde, et telles sont, en gros, les matières qui m'occupent.

Avez-vous envie de troquer la poésie pour la politique? La seule ressemblance qui se trouve entre l'une et l'autre est que les politiques et les poëtes sont le jouet du public, et l'objet de la satire de leurs confrères.

Je pars après-demain pour Remusberg reprendre la houlette et la lyre, veuille le ciel, pour ne les quitter jamais! Je vous écrirai de cette douce solitude avec plus de tranquillité d'esprit. Peut-être Calliope m'inspirera-t-elle encore. Je suis tout à vous.