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165. DE VOLTAIRE.

(Bruxelles) 5 mai 1741.

Je croyais autrefois que nous n'avions qu'une âme,
Encore est-ce beaucoup, car les sots n'en ont pas;

Vous en possédez trente, et leur céleste flamme
Pourrait seule animer tous les sots d'ici-bas.
Minerve a dirigé vos desseins politiques;
Vous suivez à la fois Mars, Orphée, Apollon;
Vous dormez en plein champ sur l'affût d'un canon;
Neipperg fuit devant vous aux plaines germaniques.
César, votre patron, par qui tout fut soumis,
Aimait aussi les arts, et sa main triomphale
Cueille encor des lauriers dans ses nobles écrits;
Mais a-t-il fait des vers au grand jour de Pharsale?
A peine ce Neipperg est-il par vous battu,
Que vous prenez la plume, en montrant votre épée;
Mon attente, ô grand roi! n'a point été trompée,
Et non moins que Neipperg mon génie est vaincu.

Sire, faire des vers et de jolis vers après une victoire est une chose unique, et par conséquent réservée à V. M. Vous avez battu Neipperg et Voltaire. V. M. devrait mettre dans ses lettres des feuilles de laurier, comme les anciens généraux romains. Vous méritez à la fois le triomphe du général et du poëte, et il vous faudrait deux feuilles de laurier au moins.

J'apprends que Maupertuis est à Vienne;a je le plains plus qu'un autre; mais je plains quiconque n'est pas auprès de votre personne. On dit que le colonel Camas est mort bien fâché de n'être pas tué à vos yeux.b Le major Knobertoffc (dont j'écris mal le nom) a eu au moins ce triste honneur, dont Dieu veuille préserver V. M.! Je suis sûr de votre gloire, grand roi, mais je ne suis pas sûr de votre vie; dans quels dangers et dans quels travaux vous la passez, cette vie si belle! Des ligues à prévenir ou


a Voyez t. XVII, p. 118 et 119.

b Le colonel de Camas mourut à Breslau, d'une fièvre chaude, le 14 avril 1741. Voyez t. XVI, p. x et XI, et p. 137-192.

c Knobelsdorff. Voyez ci-dessous, p. 80.