<60>Il n'en est pas ainsi de moi; je regrette mon roi, et le regretterai sur terre, comme au milieu des glaçons et du royaume des vents. Le ciel me punit bien de l'avoir quitté; mais qu'il me rende la justice de croire que ce n'est pas pour mon plaisir.

J'abandonne un grand monarque qui cultive et qui honore un art que j'idolâtre, et je vais trouver quelqu'un qui ne lit que Christianus Wolffus. Je m'arrache à la plus aimable cour de l'Europe pour un procès.

Un ridicule amour n'embrase point mon âme,
Cythère n'est point mon séjour,

Et je n'ai point quitté votre adorable cour
Pour soupirer en sot aux genoux d'une femme.

Mais, Sire, cette femme a abandonné pour moi toutes les choses pour lesquelles les autres femmes abandonnent leurs amis; il n'y a aucune sorte d'obligation que je ne lui aie. Les coiffes et la jupe qu'elle porte ne rendent pas les devoirs de la reconnaissance moins sacrés.

L'amour est souvent ridicule;
Mais l'amitié pure a ses droits,
Plus grands que les ordres des rois.
Voilà ma peine et mon scrupule.

Ma petite fortune mêlée avec la sienne n'apporte aucun obstacle à l'envie extrême que j'ai de passer mes jours auprès de V. M. Je vous jure, Sire, que je ne balancerai pas un moment à sacrifier ces petits intérêts au grand intérêt d'un être pensant, de vivre à vos pieds, et de vous entendre.

Hélas! que Gresset est heureux!
Mais, grand roi, charmante coquette,
Ne m'abandonnez pas pour un autre poëte;
Donnez vos faveurs à tous deux.

J'ai travaillé Mahomet sur le vaisseau, j'ai fait l'Épître dédicatoire.a V. M. permet-elle que je la lui envoie?


a Cette pièce se trouve dans les Œuvres de Voltaire, édit. Beuchot, t. LIV, p. 256-263. Nous l'avons omise, comme quelques dédicaces d'Algarotti adressées à Frédéric (t. XVIII, p. III). D'ailleurs, Voltaire dédia, depuis, son Mahomet au pape Benoît XIV, au lieu de le dédier à Frédéric, comme il avait d'abord eu l'intention de le faire. Voyez, ci-dessous, p. 78, sa lettre à Frédéric, du 5 mai 1741.