<57>Vous ouvrez d'une main hardie
Le temple horrible de Janus;
Je m'en retourne tout confus
Vers la chapelle d'Emilie.
Il faut retourner sous sa loi,
C'est un devoir; j'y suis fidèle,
Malgré ma fluxion cruelle,
Et malgré vous, et malgré moi.
Hélas! ai-je perdu pour elle
Mes yeux, mon bonheur et mon roi?

Sire, je prie le Dieu de la paix et de la guerre qu'il favorise toutes vos grandes entreprises, et que je puisse bientôt revoir mon héros à Berlin, couvert d'un double laurier, etc.

159. A VOLTAIRE.

Quartier de Herrendorf, en Silésie, 23 décembre 1740.

Mon cher Voltaire, j'ai reçu deux de vos lettres; mais je n'ai pu y répondre plus tôt; je suis comme le roi d'échecs de Charles XII, qui marchait toujours.a Depuis quinze jours nous sommes continuellement par voie et par chemin, et par le plus beau temps du monde.

Je suis trop fatigué pour répondre à vos charmants vers, et trop saisi de froid pour en savourer tout le charme; mais cela reviendra. Ne demandez point de poésie à un homme qui fait actuellement le métier de charretier, et même quelquefois de charretier embourbé. Voulez-vous savoir ma vie?

Nous marchons depuis sept heures jusqu'à quatre de l'après-midi. Je dîne alors; ensuite je travaille, je reçois des visites ennuyeuses; vient, après, un détail d'affaires insipides. Ce sont des hommes difficultueux à rectifier, des têtes trop ardentes à retenir, des paresseux à presser, des impatients à rendre dociles,


a Allusion à Stanislas Leszczynski. Voyez t. XXI, p. 244 et 245. Voyez aussi t. I, p. 128, 188 et suivantes, et t. II, p. 27.