<55>Vos Pantalonsa à robe d'encre,
Vos lagunes à forte odeur,b
Où deux galères sont à l'ancre,
Deux mille putains dont le ...
Plus que vos canaux est profond,
Malgré le virus qui l'échancre;
Un palais sans cour et sans parc,
Où végète un doge inutile;
Un vieux manuscrit d'Evangile,
Griffonné, dit-on, par saint Marc;
Vos nobles, avec prud'homie,
Allant du sénat au marché
Chercher pour deux sous d'eau-de-vie;
Un peuple mou, faible, entiché
D'ignorance et de fourberie,
Le fessier souvent ébréché,
Grâce aux efforts du vieux péché
Que l'on appelle sodomie :
Voilà le portrait ébauché
De la très-noble seigneurie.
Or cela vaut-il, je vous prie,
Notre adorable Frédéric,
Ses vertus, ses goûts, sa patrie?
J'en fais juge tout le public.

J'espère que je ne serai pas dénoncé au conseil des Dix. On dit que la république entretient un apothicaire qui a l'honneur d'être l'empoisonneur ordinaire de la sérénissime, et qui donne parties égales de jusquiame, de ciguë et d'opium aux mauvais plaisants; mais je n'en crois rien. D'ailleurs, si je meurs, ce sera, je crois, dans le Rhin ou dans la Meuse, entre lesquels je me trouve renfermé, et qui se débordent de leur mieux. Je serai puni par le déluge d'avoir quitté mon roi; je vais, si je puis, me réfugier à Clèves; je me flatte que ses troupes auront trouvé de meilleurs chemins. Pour S. M., elle a trouvé le chemin de la gloire de bien bonne heure. J'entrevois de bien grandes choses; mon roi agit comme il écrit. Mais se souviendra-t-il encore de


a Par ce nom des personnages de la Comédie italienne Voltaire désigne ici les prêtres inquisiteurs. (Note de l'édition Beuchot.)

b Les lagunes de Venise, ville natale d'Algarotti. Voyez t. XVIII, p. 1.