<42>Voici enfin, Sire, des exemplaires de la nouvelle édition de l'Antimachiavel. Je crois avoir pris le seul parti qui restait à prendre, et avoir obéi à vos ordres sacrés. Je persiste toujours à penser qu'il a fallu adoucir quelques traits qui auraient scandalisé les faibles et révolté certains politiques. Un tel livre, encore une fois, n'a pas besoin de tels ornements. L'ambassadeur Camas serait hors des gonds, s'il voyait à Paris de ces maximes chatouilleuses, et qu'il pratique pourtant un peu trop. Tout vous admirera, jusqu'aux dévots. Je ne les ai pas trop dans mon parti, mais je suis plus sage pour vous que pour moi. Il faut que mon cher et respectable monarque, que le plus aimable des rois plaise à tout le monde. Il n'y a plus moyen de vous cacher, Sire, après l'ode de Gresset; voilà la mine éventée, il faut paraître hardiment sur la brèche. Il n'y a que des Ostrogoths et des Vandales qui puissent jamais trouver à redire qu'un jeune prince ait, à l'âge de vingt-cinq ou vingt-six ans, occupé son loisir à rendre les hommes meilleurs, et à les instruire, en s'instruisant lui-même. Vous vous êtes taillé des ailes à Remusberg pour voler à l'immortalité. Vous irez, Sire, par toutes les routes; mais celle-ci ne sera pas la moins glorieuse :

J'en atteste le Dieu que l'univers adore,
Qui jadis inspira Marc-Aurèle et Titus,
Qui vous donna tant de vertus,
Et que tout bigot déshonore.

Il vient tous les jours ici de jeunes officiers français; on leur demande ce qu'ils viennent faire, ils disent qu'ils vont chercher de l'emploi en Prusse. Il y en a quatre actuellement de ma connaissance : l'un est le fils du gouverneur de Bergues-Saint-Vinox, l'autre le garçon-major du régiment de Luxembourg, l'autre le fils d'un président, l'autre le bâtard d'un évêque. Celui-ci s'est enfui avec une fille, cet autre s'est enfui tout seul, celui-là a épousé la fille de son tailleur, un cinquième veut être comédien, en attendant qu'on lui donne un régiment.

J'apprends une nouvelle qui enchante mon esprit tolérant; V. M. fait revenir de pauvres anabaptistes qu'on avait chassés, je ne sais trop pourquoi.