<250>comme Horace, vous aimez à réunir l'utile à l'agréable;a pour moi, je crois qu'on ne saurait assez payer le plaisir, et je compte d'avoir fait un très-bon marché avec le sieur Mettra. Je payerai le marc d'esprit à proportion que le change hausse. Il en faut dans la société; je l'aime; et l'on n'en saurait trouver davantage que dans la boutique de Mettra.

Je vous avertis que je pars pour la Prusse, que je ne serai de retour ici que le 22 de juin, et que vous me ferez grand plaisir d'être ici vers ce temps. Vous y serez reçu comme le Virgile de ce siècle, et le gentilhomme ordinaire de Louis XV cédera, s'il lui plaît, le pas au grand poëte. Adieu; les coursiers rapides d'Achille puissent-ils vous conduire, les chemins montueux s'aplanir devant vous! puissent les auberges d'Allemagne se transformer en palais pour vous recevoir! les vents d'Éole puissent-ils se renfermer dans les outres d'Ulysse, le pluvieux Orion disparaître, et nos nymphes potagères se changer en déesses, pour que votre voyage et votre réception soient dignes de l'auteur de la Henriade!

263. DE VOLTAIRE.

Paris, 9 juin 1760.

Votre très-vieille Danaé
Va quitter son petit ménage
Pour le beau séjour étoile
Dont elle est indigne à son âge.
L'or par Jupiter envoyé
N'est pas l'objet de son envie;
Elle aime d'un cœur dévoué
Son Jupiter, et non sa pluie.
Mais c'est en vain que l'on inédit
De ces gouttes très-salutaires;
Au siècle de fer où l'on vit,

Les gouttes d'or sont nécessaires.
On peut du fond de son taudis,
Sans argent, l'âme timorée,

Entouré de cierges bénits,
Aller tout droit en paradis,
Mais non pas dans votre Empyrée.

Je ne pourrai pourtant, Sire, être dans votre ciel que vers les premiers jours de juillet. Je ferai, soyez-en sûr, tout ce que je pourrai pour arriver à la fin de juin. Mais la vieille Danaé est trop avisée pour promettre légèrement; et, quoiqu'elle ait l'âme très-vive et très-impatiente, les années lui ont appris à modérer ses ardeurs. Je viens d'écrire à M. de Raesfelda que je serai, au plus tard, dans les premiers jours de juillet, dans vos États de Clèves, et je le prie de songer au Vorspann. Je vous lais, Sire, la même requête. Faites de belles revues dans vos royaumes du Nord; imposez à l'empire des Russes; soyez l'arbitre de la paix, et revenez présider à votre Parnasse. Vous êtes l'homme de tous les temps, de tous les lieux, de tous les talents. Recevez-moi au rang de vos adorateurs; je n'ai de mérite que d'être le plus ancien. Le titre de doyen de ce chapitre ne peut m'être contesté. Je prendrai la liberté de dire de V. M. ce que La Fontaine, à mon âge, disait des femmes : « Je ne leur fais pas grand plaisir, mais elles m'en font toujours beaucoup. »

Je me mets aux pieds de V. M.

Ah! que mon destin sera doux
Dans votre céleste demeure!
Que d'Arnaud vive à vos genoux,
Et que votre Voltaire y meure!

264. A VOLTAIRE.a

Potsdam, 26 juin 1750.

Vieux palefrois de nos rouliers,
Volez, rétives haridelles,


a Art poétique, v. 343. Voyez t. XXI, p. 353.

a Président de la régence de Clèves depuis 1742. Voyez ci-dessus, p. 36.

a Cette lettre est tirée de l'édition de Bâle, t. II, p. 243-245.