<231>C'est un défi dans toutes les formes; vous passerez pour un lâche, si vous n'y répondez. L'esprit ni les vers ne vous coûtent rien; n'imitez donc pas les Hollandais, qui, ayant seuls des clous de girofle, n'en vendent que par faveur. Horace, votre devancier, envoyait des épîtres à Mécène autant qu'il en voulait. Virgile, votre aïeul, ne faisait pas des poëmes épiques pour tout le monde, mais bien des églogues. Mais vous, dans l'opulence de l'esprit, et possédant tous les trésors de l'imagination la plus brillante, vous êtes le plus grand avare d'esprit que je connaisse. Faut-il être aussi difficile pour quelques vers de votre superflu qu'on vous demande? Ne me fâchez pas : mon impatience me pourrait tenir lieu d'Apollon, et peut-être ferais-je une satire sur les avares d'esprit. Mais si je reçois une lettre bien jolie, comme vous en faites souvent, j'oublierai mes sujets de plainte, et je vous aimerai bien. Adieu.

253. AU MÊME.a

Avril (janvier) 1750.

Quoi! vous envoyez vos écrits
Au frondeur de Sémiramis,
A l'incrédule qui de l'ombre
Du grand Ninus n'est point épris,
Qui, sur un ton caustique et sombre,
Ose juger vos beaux esprits!
Ce trait désarme ma colère;
Enfin je retrouve Voltaire,
Ce Voltaire du temps jadis,
Qui savait aimer ses amis,
Et qui surtout savait leur plaire.

Voilà une lettre comme j'en recevais autrefois de Cirey; je redouble d'envie de vous revoir, de parler de littérature, et de m'instruire des choses que vous seul pouvez m'apprendre. Je vous fais mes remercîments de votre nouvelle édition : comme je


a Cette lettre se trouve aussi dans notre t. XI, p. 168-171.