<182>première, quoique sublime, n'est point faite pour le commerce des hommes; je l'abandonne à quelque rêve-creux d'Anglais : qu'il gouverne le ciel comme il lui plaira, je m'en tiens à la planète que j'habite. Pour la métaphysique, c'est, comme vous le dites très-bien, un ballon enflé de vent.a Quand on fait tant que de voyager dans ce pays-là, on s'égare entre des précipices et des abîmes; et je me persuade que la nature ne nous a point faits pour deviner ses secrets, mais pour coopérer au plan qu'elle s'est proposé d'exécuter.b Tirons tout le parti que nous pouvons de la vie, et ne nous embarrassons point si ce sont des mobiles supérieurs qui nous font agir, ou si c'est notre liberté. Si cependant j'osais hasarder mon sentiment sur cette matière, il me semble que ce sont nos passions et les conjonctures dans lesquelles nous nous trouvons qui nous déterminent. Si vous voulez remonter ad priora, je ne sais point ce qu'on en pourra conclure. Je sens bien que c'est ma volonté qui me fait faire des vers, tant bons que mauvais, mais j'ignore si c'est une impulsion étrangère qui m'y force; toutefois lui devrais-je savoir mauvais gré de ne pas mieux m'inspirer.

Ne vous étonnez point de mon Ode sur la Guerre; ce sont, je vous assure, mes sentiments. Distinguez l'homme d'État du philosophe, et sachez qu'on peut faire la guerre par raison, qu'on peut être politique par devoir, et philosophe par inclination. Les hommes ne sont presque jamais placés dans le monde selon leur choix; de là vient qu'il y a tant de cordonniers, de prêtres, de ministres et de princes mauvais.

Si tout était bien assorti
Sur ce ridicule hémisphère,
L'ouvrier, quittant son outil,
Serait amiral ou corsaire,
Le roi peut-être charbonnier,
Le général, un maltôtier,
Le berger, maître de la terre,
L'auteur, un grand foudre de guerre.
Mais rassurons-nous là-dessus,
Chacun conservera sa place;


a Voyez t. XI, p. 109.

b Voyez t. X, p. 110, et t. XXI, p. 184.