<175>déplorons la mort, et qui vous aimait si véritablement; où nous avons vos portraits en toile et en or, et où nous parlons tous les jours des espérances que vous donniez en ce temps-là, et que vous avez tant passées depuis. Enfin, Sire, le courrier qui s'était chargé de votre paquet ne l'a rendu ni à Lunéville, ni à Cirey. Je le fais chercher partout, et, en attendant, je vous expose ma douleur. Il n'y a pas d'apparence que le paquet soit perdu. Mais il y a eu tant de contre-temps, que probablement je ne l'aurai de plus de quinze jours. Soit prose, soit vers, je sens bien la perte que j'ai faite.

J'ai appris que V. M. n'abandonnait pas tout à fait la poésie, et que, en se donnant à l'histoire, elle se prêtait encore aux fictions. Vous mettez à vous instruire et à instruire les hommes un temps que d'autres perdent à suivre des chiens qui courent après un renard ou un cerf. Vous avez envoyé à M. de Maupertuis des vers charmants.a Je vous assure qu'il n'y a aucun de nos ministres qui pût répondre en vers à V. M., et que tous les conseils des rois de l'Europe, pétris ensemble, ne pourraient pas seulement vous fournir une ode, à moins que mylord Chesterfield ne fût du conseil d'Angleterre; encore ne vous donnerait-il que des vers anglais, dont V. M. ne se soucie guère. Pour moi, Sire, qui aime passionnément vos vers, et qui n'en fais plus guère, je me borne à la prose, en qualité de chétif historiographe; je compte les pauvres gens qu'on a tués dans la dernière guerre, et je dis toujours vrai, à plusieurs milliers près. Je démolis les villes de la barrière hollandaise; je donne une vingtaine de batailles qui m'ennuient beaucoup; et, quand tout cela sera fait, je n'en ferai rien paraître, car, pour donner une histoire, il faut que les gens qui peuvent vous démentir soient morts. J'ai vu un temps où V. M. s'amusait à un pareil ouvrage; mais c'était César qui faisait ses Commentaires; et moi, je suis un commis de ministre, qui extrais, dans les bureaux, les archives vraies ou fausses des malheurs, des sottises et des méchancetés de notre siècle. Si V. M. était curieuse de voir le commencement de ma bavarderie historique, j'aurais l'honneur de le lui envoyer, en la suppliant très-humblement de daigner corriger l'ouvrage de cette main qui écrit


a Épître à Maupertuis, t. XI, p. 56-63.