61. DE VOLTAIRE.

Cirey, août 1738.

Monseigneur, Votre Altesse Royale me reproche, à ce que dit M. Thieriot, que mes occupations sont plutôt la cause de mon silence que mes maladies. Mais, monseigneur, j'ai eu l'honneur d'écrire par M. Plötz252-b et par M. Thieriot. Voici une troisième lettre, et V. A. R. pourra bien ne se plaindre que de mes importunités.

Ceci, monseigneur, n'est ni belles-lettres, ni vers, ni philosophie, ni histoire. C'est une nouvelle liberté que j'ose prendre avec V. A. R.; je pousse à bout votre indulgence et vos bontés.

J'ai déjà eu l'honneur de dire un mot à V. A. R. d'une petite principauté située vers Liége et Juliers. Elle s'appelle Beringen. Elle est composée de Ham et Beringen. Elle appartient au marquis de Trichâteau, par sa mère, qui était de la maison de Honsbruck.

Il y a des dettes. Madame du Châtelet, qui a plein pouvoir d'en disposer, voudrait bien que ce petit coin de terre, qui ne relève de personne, pût convenir à Sa Majesté le Roi votre père. Cinq ou six cent mille florins que la terre peut valoir ne sont que l'accessoire de cette affaire. Le principal serait que la reine de Saba viendrait sur les lieux, s'il en était temps encore, pour y voir le Salomon de l'Europe. V. A. R. sait si je serais du voyage. <226>C'est bien alors que le pays de Juliers serait la terre promise, où je verrais salutare meum.253-a Je ne sais peut-être ce que je dis, mais enfin j'ai imaginé que, la proposition de cette vente étant convenable aux intérêts de Sa Majesté, je ne faisais point en cela un crime de lèse-politique, et que les ministres de Sa Majesté ne s'y opposeraient pas, si V. A. R. le faisait proposer ou le proposait. V. A. R. est suppliée de se faire d'abord informer de la terre, de ses droits, et du lieu précis où elle est située, car je n'en sais rien.

Je n'entends rien en politique. Je ne m'entends bien que dans les sentiments de zèle, de respect, d'admiration, et j'ai presque dit de tendresse, avec lesquels je suis, etc.

Monsieur et madame du Châtelet jouissent à présent de cette petite principauté, qui leur a été adjugée ensuite d'une donation qui leur a été faite par le marquis de Trichâteau. Mais ils ne touchent rien du revenu, qu'ils laissent jusqu'à fin de payement des dettes.


252-b Voyez t. XVI, p. 140; t. XVII, p. 9; et ci-dessus, p. 150, 151, 155 et 165.

253-a Saint Luc, chap. II, v. 30. Voyez ci-dessus, p. 47 et 111.