<40>dont vous avez daigné me faire présent; le peu que j'en ai lu m'a paru une chaîne d'or qui va du ciel en terre. Il y a, à la vérité, des chaînons si déliés, qu'on craint qu'ils ne se rompent : mais il y a tant d'art à les avoir faits, que je les admire, tout fragiles qu'ils peuvent être.

Je vois très-bien qu'on peut combattre l'espèce d'harmonie préétablie où M. Wolff veut venir, et qu'il y a bien des choses à dire contre son système; mais il n'y a rien à dire contre sa vertu et contre son génie. Le taxer d'athéisme, d'immoralité, enfin le persécuter, me paraît absurde. Tous les théologiens de tous les pays, gens enivrés de chimères sacrées, ressemblent aux cardinaux qui condamnèrent Galilée. Ne voudraient-ils point brûler vif M. Wolff, parce qu'il a plus d'esprit qu'eux? Ange tutélaire de Wolff et de la raison, grand prince, génie vaste et facile, est-ce qu'un coup d'œil de vous n'impose pas silence aux sots?

Dans les lettres que je reçois de V. A. R., parmi bien des traits de prince et de philosophe, je remarque celui où vous dites : Caesar est supra grammaticam. Cela est très-vrai; il sied très-bien à un prince de n'être pas puriste; mais il ne sied pas d'écrire et d'orthographier comme une femme. Un prince doit en tout avoir reçu la meilleure éducation; et de ce que Louis XIV ne savait rien, de ce qu'il ne savait pas même la langue de sa patrie, je conclus qu'il fut mal élevé. Il était né avec un esprit juste et sage; mais on ne lui apprit qu'à danser et à jouer de la guitare. Il ne lut jamais, et, s'il avait lu, s'il avait su l'histoire, vous auriez moins de Français à Berlin. Votre royaume ne se serait pas enrichi, en 1686, des dépouilles du sien. Il aurait moins écouté le jésuite Le Tellier; il aurait, etc., etc., etc.

Ou votre éducation a été digne de votre génie, monseigneur, ou vous avez tout suppléé. Il n'y a aucun prince à présent sur la terre qui pense comme vous. Je suis bien fâché que vous n'ayez point de rivaux. Je serai toute ma vie, etc.