<382>pour être unique en tout genre, et pour goûter des plaisirs que les autres rois sont faits pour ignorer. M. de Keyserlingk vous avertira quand, par hasard, vous aurez passé une journée sans faire des heureux; et le cas arrivera rarement. Pour moi, je mettrai, en attendant, les points et les virgules à l'Antimachiavel. Je vais profiter de la permission que V. A. R. m'a donnée. J'écris aujourd'hui à un libraire de Hollande, en attendant qu'il y ait à Berlin une belle imprimerie, et une belle manufacture de papier qui fournisse toute l'Allemagne. Je viens d'apprendre, dans le moment, qu'il y a quelques anciennes brochures imprimées contre le Prince de Machiavel. On m'a fait connaître le titre de trois : la première est Antimachiavel; la seconde, Discours d'État contre Machiavel; la troisième, Fragments contre Machiavel.

Je serais bien aise de les voir, afin d'en parler, s'il en est besoin, dans ma préface; mais ces ouvrages sont probablement fort mauvais, puisqu'ils sont difficiles à trouver; cela ne retardera en rien l'impression du plus bel ouvrage que je connaisse. Que vous y faites un portrait vrai des Français et du gouvernement de France! Que le chapitre sur les puissances ecclésiastiques est intéressant et fort! La comparaison de la Hollande avec la Russie, les réflexions sur la vanité des grands seigneurs qui font les souverains en miniature, sont des morceaux charmants. Je vais, dans l'instant, en achever la quatrième lecture, la plume à la main. Cet ouvrage réveille bien en moi l'envie d'achever l'Histoire du Siècle de Louis XIV; je suis honteux de faire tant de choses frivoles, quand mon prince m'enseigne à en faire de solides.

Que dira de moi V. A. R.? On va jouer une tragédie nouvelle de ma façon,a à Paris, et ce n'est point Mahomet; c'est une pièce toute d'amour, toute distillée à l'eau rose des dames françaises. Voilà pourquoi je n'ai pas osé en parler encore à V. A. R. Je suis honteux de ma mollesse; cependant la pièce n'est point sans morale, elle peint les dangers de l'amour, comme Mahomet peint les dangers du fanatisme. Au reste, je compte corriger encore beaucoup ce Mahomet, et le rendre moins indigne de vous être dédié. Je vais refondre toute la pièce. Je veux passer ma vie à me corriger, et à mériter les bonnes grâces de mon adorable


a Zulime, représentée sur le Théâtre français le 8 juin 1740.