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118. DE VOLTAIRE.

(Bruxelles) avril 1740.

Monseigneur, votre idée m'occupe le jour et la nuit. Je rêve à mon prince comme on rêve à sa maîtresse.

Tempus erat, quo prima quies mortalibus aegris
Incipit, et dono divum gratissima serpit.
In somnis, ecce, ante oculos pulcherrimus heros
Visus adesse mihi........b

Je vous ai vu sur un trône d'argent massif que vous n'aviez point fait faire, et sur lequel vous montiez avec plus d'affliction que de joie,

Plus frappé de la triste vue
D'un père expirant devant vous
Que de la brillante cohue
Qui s'empressait à vos genoux.

Beaucoup de courtisans qui avaient négligé de venir voir Son Altesse Royale à Remusberg venaient en foule saluer Sa Majesté à Berlin.

Je remarquais tout l'étalage
Et l'air de ces nouveaux venus;
Ce sont seigneurs de haut lignage,
Car ils descendent de Janus,
Ayant tous un double visage.

Ils pourraient même venir aussi, par femmes, du prophète Élisée, qui, au rapport de la très-sainte Écriture,a avait un esprit double, de quoi plusieurs prêtres ont hérité aussi bien qu'eux.

Plein de douceur et de prudence,
Mon grand prince avec complaisance
Voyait près de son trône admis
Ceux qui, par pure obéissance,
Jadis furent ses ennemis.
Ils éprouvent tous sa clémence;
Mais il distinguait ses amis,
Ils éprouvent sa bienfaisance.


b Virgile, Énéide, liv. II, v. 268-271.

a II Rois, chap. II, v. 9-14.