<292>des chaleurs qui sont survenues. Je suis occupé à présent à régler l'édition de la Henriade. Je vous communiquerai tous les arrangements que j'aurai pris là-dessus.

Nous venons de perdre l'homme le plus savant de Berlin, le répertoire de tous les savants d'Allemagne, un vrai magasin de sciences; le célèbre M. de La Crozeb vient d'être enterré avec une vingtaine de langues différentes, la quintessence de toute l'histoire, et une multitude d'historiettes dont sa mémoire prodigieuse n'avait laissé échapper aucune circonstance. Fallait-il tant étudier pour mourir au bout de quatre-vingts ans? ou plutôt ne devait-il point vivre éternellement pour récompense de ses belles études?

Les ouvrages qui nous restent de ce savant prodigieux ne le font pas assez connaître, à mon avis. L'endroit par lequel M. de La Croze brillait le plus, c'était, sans contredit, sa mémoire; il en donnait des preuves sur tous les sujets, et l'on pouvait compter qu'en l'interrogeant sur quelque objet qu'on voulût, il était présent, et vous citait les éditions et les pages où vous trouviez tout ce que vous souhaitiez d'apprendre. Les infirmités de l'âge n'ont diminué en rien les talents extraordinaires de sa mémoire, et jusqu'au dernier moment de sa vie, il a fait amas de trésors d'érudition, que sa mort vient d'enfouir pour jamais avec une connaissance parfaite de tous les systèmes philosophiques, qui embrassait également les points principaux des opinions jusqu'aux moindres minuties.

M. de La Croze était assez mauvais philosophe; il suivait le système de Des Cartes, dans lequel on l'avait élevé, probablement par prévention et pour ne point perdre la coutume qu'il avait contractée, depuis une septantaine d'années, d'être de ce sentiment. Le jugement, la pénétration, et un certain feu d'esprit qui caractérise si bien les esprits originaux et les génies supérieurs, n'étaient point du ressort de M. de La Croze; en revanche, une probité égale en toutes ses fortunes le rendait respectable et digne de l'estime des honnêtes gens.

Plaignez-nous, mon cher Voltaire; nous perdons de grands hommes, et nous n'en voyons pas renaître. Il paraît que les sa-


b Voyez t. VII, p. 4, 9 et 11; t. XI, p. 43; et ci-dessus, p. 47 et 51.