<290>ouvrage qui réfutera entièrement ses maximes par l'opposition qui se trouve entre elles et la vertu, aussi bien qu'avec les véritables intérêts des princes. Il ne suffit point de montrer la vertu aux hommes, il faut encore faire agir les ressorts de l'intérêt, sans quoi il y en a très-peu qui soient portés à suivre la droite raison.

Je ne saurais vous dire le temps où je pourrai avoir rempli cette tâche, car beaucoup de dissipations me viendront à présent distraire de l'ouvrage. J'espère cependant, si ma santé le permet, et si mes autres occupations le souffrent, que je pourrai vous envoyer le manuscrit d'ici à trois mois. Nisus et Euryale attendront, s'il leur plaît, que Machiavel soit expédié. Je ne vas que l'allure de ces pauvres mortels qui cheminent tout doucement, et mes bras n'embrassent que peu de matière.

Ne vous imaginez pas, je vous prie, que tout le monde ait cent bras comme Voltaire-Briarée; un de ses bras saisit la physique, tandis qu'un autre s'occupe avec la poésie, un autre avec l'histoire, et ainsi à l'infini. On dit que cet homme a plus d'une intelligence unie à son corps, et que lui seul fait toute une académie. Ah! qu'on se sentirait tenté de se plaindre de son sort, lorsqu'on réfléchit sur le partage inégal des talents qui nous sont échus! On me parlerait en vain de l'égalité des conditions; je soutiendrai toujours qu'il y a une différence infinie entre cet homme universel dont je viens de parler, et le reste des mortels.

Ce me serait une grande consolation, à la vérité, de le connaître; mais nos destins nous conduisent par des routes si différentes, qu'il paraît que nous sommes destinés à nous fuir.

Vous m'envoyez des vers pour la nourriture de mon esprit, et je vous envoie des recettes pour la convalescence de votre corps. Elles sont d'un très-habile médecin que j'ai consulté sur votre santé; il m'assure qu'il ne désespère point de vous guérir; servez-vous de ses remèdes, car j'ai l'espérance que vous vous en trouverez soulagé.

Comme cette lettre vous trouvera, selon toutes les apparences, à Bruxelles, je peux vous parler plus librement sur le sujet de Son Éminencea et de toute votre patrie. Je suis indigné


a Le cardinal de Fleury.