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71. A VOLTAIRE.

Berlin, 25 décembre 1738.

Mon cher ami, j'ai lu ces jours passés, avec beaucoup de plaisir, la lettre que vous adressez à vos infidèles libraires de Hollande. La part que je prends à votre réputation m'a fait participer vivement à l'approbation dont le public ne saurait manquer de couronner votre modération.

C'est cette modération qui doit être le caractère propre de tout homme qui cultive les sciences; la philosophie, qui éclaire l'esprit, fait faire des progrès dans la connaissance du cœur humain, et le fruit le plus solide qui en revient doit être un support plein d'humanité pour les faiblesses, les défauts et les vices des hommes. Il serait à souhaiter que les savants dans leurs disputes, les théologiens dans leurs querelles, et les princes dans leurs différends, voulussent imiter votre modération. Le savoir, la véritable religion, les caractères respectables parmi les hommes, devraient élever ceux qui en sont revêtus au-dessus de certaines passions qui ne devraient être que le partage des âmes basses. D'ailleurs, le mérite reconnu est comme dans un fort à l'abri des traits de l'envie. Tous les coups portés contre un ennemi inférieur déshonorent celui qui les lance.

Tel, cachant dans les airs son front audacieux,
Le fier Atlasa paraît joindre la terre aux cieux;
Il voit sans s'ébranler la foudre et le tonnerre,
Brisés contre ses pieds, leur faire en vain la guerre :
Tel du sage éclairé le repos précieux
N'est point troublé des cris d'infâmes envieux.
Il méprise les traits qui contre lui s'émoussent;
Son silence prudent, ses vertus les repoussent;
Et contre ces titans le public outragé
Du soin de les punir doit être seul chargé.


a Le fier Athos. (Variante des Œuvres posthumes, t. X, p. 156.) Frédéric dit dans son Épître sur la Fermeté et sur la Patience, t. XIV, p. 49 :
     

C'est ainsi que l'Athos, de sa cime exhaussée,
Contemple avec mépris la vague courroucée, etc.