<24>d'envoyer à V. A. R. un manuscritb que je n'oserais jamais montrer qu'à un esprit aussi dégagé des préjugés, aussi philosophe, aussi indulgent que vous l'êtes, et à un prince qui mérite, parmi tant d'hommages, celui d'une confiance sans bornes. Il faudra un peu de temps pour le revoir et le transcrire, et je le ferai partir par la voie que vous m'indiquerez. Je dirai alors :

Parve, sed invideo, sine me, liber, ibis ad illum.c

Des occupations indispensables, et des circonstances dont je ne suis pas le maître, m'empêchent d'aller moi-même porter à vos pieds ces hommages que je vous dois. Un temps viendra peut-être où je serai plus heureux.

Il parait que V. A. R. aime tous les genres de littérature. Un grand prince a soin de tous les ordres de l'Etat; un grand génie aime toutes les sortes d'étude. Je n'ai pu, dans ma petite sphère, que saluer de loin les limites de chaque science; un peu de métaphysique, un peu d'histoire, quelque peu de physique, quelques vers, ont partagé mon temps; faible dans tous ces genres, je vous offre au moins ce que j'ai.

Si vous voulez, monseigneur, vous amuser de quelques vers, en attendant de la philosophie, carmina possumus donare.a J'apprends que le sieur Thieriot a l'honneur de faire quelques commissions pour V. A. R. à Paris. J'espère, monseigneur, que vous en serez très-content. Si vous aviez quelques ordres à donner pour Amsterdam, je serais bien flatté d'être votre Thieriot de Hollande. Heureux qui peut vous servir! plus heureux qui peut approcher de vous!

Si je ne m'intéressais pas au bonheur des hommes, je serais fâché de vous voir destiné à être roi. Je vous voudrais particulier, je voudrais que mon âme pût approcher en liberté de la vôtre; mais il faut que mon goût cède au bien public.

Souffrez, monseigneur, qu'en vous je respecte encore plus


b Le Traité de métaphysique. Voyez les Œuvres de Voltaire, édit. Beuchot, t. XXXVII. p. 277-343.

c Ovide dit, dans les Tristes, liv. Ier, élégie 1re :
     Parve, nec invideo, sine me, liber, ibis in urbem.

a Horace, Odes. liv. IV, ode 8, v. 11 et 12.