<211>pour la marquise. C'est un meuble pour son boudoir. Je vous prie de l'assurer de l'estime que m'inspirent tous ceux qui savent vous aimer. Césarion me paraît un peu touché de la marquise; il me dit : « Quand elle parlait, j'étais amoureux de son esprit; et quand elle ne parlait pas, je l'étais de son corps. »

Heureux sont les yeux qui l'ont vue, et les oreilles qui l'ont entendue! Mais plus heureux ceux qui connaissent Voltaire, et qui le possèdent tous les jours!

Vous ne sauriez croire à quel point je m'impatiente de vous voir. Je me lasse horriblement de ne vous connaître que par les yeux de la foi. Je voudrais bien que ceux de la chair eussent aussi leur tour. Si jamais on vous enlève, soyez sûr que ce sera moi qui ferai le rôle de Paris. Je suis à jamais, monsieur, etc.c

57. DE VOLTAIRE.

(Cirey) juin 1738.

Monseigneur, quand j'ai reçu le nouveau bienfait dont Votre Altesse Royale m'a honoré, j'ai songé aussitôt à lui payer quelques nouveaux tributs. Car, quand le prince enrichit ses sujets, il faut bien que leurs taxes augmentent. Mais, monseigneur, je ne pourrai jamais vous rendre ce que je dois à vos bontés. Le dernier fruit de votre loisir est l'ouvrage d'un vrai sage, qui est fort au-dessus des philosophes; votre esprit sait d'autant mieux douter, qu'il sait mieux approfondir. Rien n'est plus vrai, monseigneur, que nous sommes dans ce monde sous la direction d'une puissance aussi invisible que forte, à peu près comme des poulets qu'on a mis en mue pour un certain temps, pour les mettre à la broche ensuite, et qui ne comprendront jamais par quel caprice le cuisinier les fait ainsi encager. Je parie que si ces poulets rai-


c Si jamais on vous enlève, comptez que ce sera moi qui ferai le rôle de Paris. Soyez persuadé de tous les sentiments avec lesquels je suis votre très-fidèle ami. (Variante des Œuvres posthumes, t. VIII, p. 376.)