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5. AU MÊME.

Remusberg, 13 novembre 1736.

Voltaire, ce n'est point le rang et la puissance,
Ni les vains préjugés d'une illustre naissance,
Qui peuvent procurer la solide grandeur.
Du vulgaire ignorant telle est souvent l'erreur;
Mais un homme éclairé tient en main la balance;
Lui seul sait distinguer le vrai de l'apparence,
Il n'est point ébloui par un trompeur éclat,
Sous des titres pompeux il découvre le fat,
Et d'illustres aïeux ne compte point la suite.
Si vous n'héritez d'eux leurs vertus, leur mérite.

Il est d'autres moyens de se rendre fameux,
Qui dépendent de nous, et sont plus glorieux.
Chacun a des talents dont il doit faire usage
Selon que le destin en régla le partage.
L'esprit de l'homme est tel qu'un diamant précieux.
Qui sans être taillé ne brille point aux yeux.
Quiconque a trouvé l'art d'ennoblir son génie
Mérite notre hommage en dépit de l'envie.
Rome nous vante encor les sons de Corelli;
Le Français prévenu fredonne avec Lulli;
L'Énéide immortelle, en beautés si fertile,
Transmet jusqu'à nos jours l'heureux nom de Virgile;
Carrache, le Titien, Rubens, Buonarotti,
Nous sont aussi connus que l'est Algarotti,
Lui dont l'art du compas et le calcul excède
Le savoir tant vanté du célèbre Archimède.
On respecte en tous lieux le profond Cassini;
La façade du Louvre exalte Bernini;
Aux mânes de Newton tout Londre encore encense;
Henri, le grand Colbert, sont chéris dans la France;
Et votre nom, fameux par de savants exploits.
Doit être mis au rang des héros et des rois.

Monsieur, vous savez sans doute que le caractère dominant de notre nation n'est pas cette aimable vivacité des Français; on nous attribue en revanche le bon sens, la candeur et la véracité de nos discours; ce qui suffit pour vous faire sentir qu'un rimeur