<188>Depuis que l'Apollon de Cirey veut bien éclairer les petits atomes de Remusberg, tout y cultive les arts et les sciences.

Voici une lettre d'un jeune homme qui est chez moi, à un de ses amis; quelques mots de votre part sur son sujet l'encourageront infiniment; c'est un génie qui se formera par la culture, et qui s'arrête, crainte de mal faire.b

Je voudrais que vous eussiez eu besoin de mon Ode sur la Patience pour vous consoler des rigueurs d'une maîtresse, et non pour supporter vos infirmités. Il est facile de donner des consolations de ce qu'on ne souffre point soi-même; mais c'est l'effort d'un génie supérieur que de triompher des maux les plus aigus, et d'écrire avec toute la liberté d'esprit du sein même des souffrances.

Votre Épître sur l'Envie est inimitable. Je la préfère presque encore à ses deux jumelles. Vous parlez de l'envie comme un homme qui a senti le mal qu'elle peut faire, et des sentiments généreux comme de votre patrimoine. Je vous reconnais toujours aux grands sentiments. Vous les sentez si bien, qu'il vous est facile de les exprimer.

Comment parler de mes pièces, après avoir parlé des vôtres? Ce qu'il vous plaît d'en dire sent un tant soit peu l'ironie. Mes vers sont les fruits d'un arbre sauvage; les vôtres sont d'un arbre franc. En un mot :

Tandis que l'aigle altier s'élève dans les airs,
L'hirondelle rase la terre.
Philomèle est ici l'emblème de mes vers;
Quant à l'oiseau du dieu qui porte le tonnerre,
Il ne convient qu'au seul Voltaire.

Je me conforme entièrement à votre sentiment touchant les pièces de théâtre. L'amour, cette passion charmante, ne devrait y être employé que comme des épiceries que l'on met dans certains ragoûts, mais qu'on ne prodigue pas, de crainte d'émousser la finesse du palais. Mérope mérite de toutes manières de corriger le goût corrompu du public, et de relever Melpomène du


b Cet alinéa, omis dans l'édition de Kehl, est tiré des Œuvres posthumes, t. X, p. 126.