<170>même dire que je le redouterais infiniment plus que vos armées avec tous vos maréchaux.

Voici une odea nouvellement achevée, moins mauvaise que les précédentes. Césarion y a donné lieu. Le pauvre garçon a la goutte d'une violence extrême. Il me l'écrit dans des termes qui me percent le cœur. Je ne puis rien pour lui que lui prêcher la patience; faible remède, si vous voulez, contre des maux réels; remède cependant capable de tranquilliser les saillies impétueuses de l'esprit, auxquelles les douleurs aiguës donnent lieu.

Je m'attends de votre franchise et de votre amitié que vous voudrez bien me faire apercevoir les défauts qui se trouvent en cette pièce. Je sens que j'en suis père, et je me sens mauvais gréb de n'avoir pas les yeux assez ouverts sur mes productions;

Tant l'erreur est notre apanage!
Souvent un rien nous éblouit,
Et de l'insensé jusqu'au sage,
S'il juge de son propre ouvrage,
Par l'amour-propre il est séduit

Vous n'oublierez pas de faire mille assurances d'estime à la marquise du Châtelet, dont l'esprit ingénieux a bien voulu se faire connaître par un petit échantillon. Ce n'est qu'un rayon de ce soleil qui s'est fait apercevoir à travers les nuages; que ne doit-ce point être lorsqu'on le voit sans voiles! Peut-être faut-il que la marquise cache son esprit, comme Moïse voilait son visage,a parce que le peuple d'Israël n'en pouvait supporter la clarté. Quand même j'en perdrais la vue, il faut, avant de mourir, que je voie cette terre de Chanaan, ce pays des sages, ce paradis terrestre. Comptez sur l'estime parfaite et l'amitié inviolable avec laquelle je suis, monsieur, etc.


a Épître sur la Fermeté et sur la Patience, t. XIV, p. 43-49.

b Je me sais mauvais gré. (Variante des Œuvres posthumes, t. VIII, p. 245.)

a Exode, chap. XXXIV, v. 33-35.