<166>de mes amis, que votre esprit aime la vérité, que vous ne me la déguiserez jamais. Soyez persuadé, monsieur, que votre amitié et votre approbation m'est plus flatteuse que celle de la moitié du genre humain.

Les dieux sont pour César, mais Caton suit Pompée.a

Si j'approchais de la divine Émilie, je lui dirais, comme l'ange annonciateur : Vous êtes la bénie d'entre les femmes, car vous possédez un des plus grands hommes du monde; et je n'oserais lui dire : Marie a choisi le bon parti, elle a embrassé la philosophie.

En vérité, monsieur, vous étiez bien nécessaire dans le monde pour que j'y fusse heureux. Vous venez de m'envoyer deux Épîtresb qui n'ont jamais eu leurs semblables. Il sera donc dit que vous vous surpasserez toujours vous-même. Je n'ai pas jugé de ces deux Épîtres comme d'un thème de philosophie; mais je les ai considérées comme des ouvrages tissus de la main des Grâces.

Vous avez ravi à Virgile la gloire du poëme épique, à Corneille celle du théâtre; vous en faites autant à présent aux Épîtres de Despréaux. Il faut avouer que vous êtes un terrible homme. C'est là cette monarchie que Nabuchodonosor vit en rêve, et qui engloutit toutes celles qui l'avaient précédée.c

Je finis en vous priant de ne pas laisser longtemps dépareillées les belles Épîtres que vous avez bien voulu m'envoyer. Je les attends avec la dernière impatience, et avec cette avidité que vos ouvrages inspirent à tous vos lecteurs.

La philosophie me prouve que vous êtes l'être du monde le plus digne de mon estime; mon cœur m'y engage, et la reconnaissance m'y oblige; jugez donc de tous les sentiments avec lesquels je suis monsieur, etc.


a Voyez t. XV, p. 150, et t. XVI, p. 174

b Premier Discours sur l'Homme, De l'Égalité des conditions; deuxième Discours, De la Liberté; Œuvres de Voltaire, édit. Beuchot, t. XII.

c Le prophète Daniel, ch. II.