<145>suprême d'ignorer ce que doivent faire librement des créatures qu'il a faites libres, et qu'au contraire, il semble plus digne de l'Être suprême de créer des êtres semblables à lui, semblables, dis-je, en ce qu'ils pensent, qu'ils veulent et qu'ils agissent, que de créer simplement des machines.

Ils ajouteront que Dieu ne peut faire des contradictions, et que peut-être il y aurait de la contradiction à prévoir ce que doivent faire ses créatures, et à leur communiquer cependant le pouvoir de faire le pour et le contre. Car, diront-ils, la liberté consiste à pouvoir agir ou ne pas agir; donc, si Dieu sait précisément que l'un des deux arrivera, l'autre dès lors devient impossible; donc plus de liberté. Or, ces gens-là admettent une liberté; donc, selon eux, en admettant la prescience, ce serait une contradiction dans les termes.

Enfin, ils soutiendront que Dieu doit ignorer ce qu'il est de sa nature d'ignorer; et ils oseront dire qu'il est de sa nature d'ignorer tout futur contingent, et qu'il ne doit point savoir ce qui n'est pas.

Ne se peut-il pas très-bien faire, disent-ils, que, du même fonds de sagesse dont Dieu prévoit à jamais les choses nécessaires, il ignore aussi les choses libres? En serait-il moins le créateur de toutes choses, et des agents libres, et des êtres purement passifs?

Qui nous a dit, continueront-ils, que ce ne serait pas une assez grande satisfaction pour Dieu de voir comment tant d'êtres libres, qu'il a créés dans tant de globes, agissent librement? Ce plaisir, toujours nouveau, de voir comment ses créatures se servent à tous moments des instruments qu'il leur a donnés, ne vaut-il pas bien cette éternelle et oisive contemplation de soi-même, assez incompatible avec les occupations extérieures qu'on lui donne?

On objecte à ces raisonneurs-là que Dieu voit en un instant l'avenir, le passé et le présent; que l'éternité est instantanée pour lui. Mais ils répondront qu'ils n'entendent pas ce langage, et qu'une éternité qui est un instant leur paraît aussi absurde qu'une immensité qui n'est qu'un point.

Ne pourrait-on pas, sans être aussi hardi qu'eux, dire que Dieu prévoit nos actions libres, à peu près comme un homme d'esprit prévoit le parti que prendra, dans une telle occasion, un