<128>oisif de la nature. Le monde se gouvernerait suivant le caprice des hommes, et celui dont la puissance a formé l'univers serait inutile depuis que de faibles mortels l'ont peuplé. Je vous avoue que, puisqu'il faut opter entre faire un être passif ou du Créateur, ou de la créature, je me détermine en faveur de Dieu. Il est plus naturel que ce Dieu fasse tout, et que l'homme soit l'instrument de sa volonté, que de se figurer un Dieu qui crée un monde, qui le peuple d'hommes, pour ensuite rester les bras croisés, et asservir sa volonté et sa puissance à la bizarrerie de l'esprit humain. Il me semble voir un Américain ou quelque sauvage qui voit pour la première fois une montre; il croira que l'aiguille qui montre les heures a la liberté de se tourner d'elle-même, et il ne soupçonnera pas seulement qu'il y a des ressorts cachés qui la font mouvoir, bien moins encore que l'horloger l'a faite à dessein qu'elle fasse précisément le mouvement auquel elle est assujettie. Dieu est cet horloger. Les ressorts dont il nous a composés sont infiniment plus subtils, plus déliés et plus variés que ceux de la montre. L'homme est capable de beaucoup de choses; et comme l'art est plus caché en nous, et que le principe qui nous meut est invisible, nous nous attachons à ce qui frappe le plus nos sens, et celui qui fait jouer tous ces ressorts échappe à nos faibles yeux. Mais il n'a pas moins eu intention de nous destiner précisément à ce que nous sommes; il n'a pas moins voulu que toutes nos actions se rapportassent à un tout, qui est le soutien de la société et le bien de la totalité du genre humain.

Lorsqu'on regarde les objets séparément, il peut arriver qu'on en conçoive des idées bien différentes que si on les envisageait avec tout ce qui a relation avec eux. On ne peut juger d'un édifice par un astragale; mais lorsqu'on considère tout le reste du bâtiment, alors on peut avoir une idée précise et nette des proportions et des beautés de l'édifice. Il en est de même des systèmes philosophiques. Dès qu'on prend des morceaux détachés, on élève une tour qui n'a point de fondement, et qui par conséquent s'écroule de soi-même. Ainsi, dès qu'on avoue qu'il y a un Dieu, il faut nécessairement que ce Dieu soit de la partie du système, sans quoi il vaudrait mieux, pour plus de commodité, le nier tout à fait. Le nom de Dieu, sans l'idée de ses attributs,