<114>fantôme héroïque, de la grandeur duquel personne ne s'est avisé de douter. Un sage historien, en partie témoin de sa vie, lève un voile indiscret, et nous fait voir ce prince avec tous les défauts des hommes, et avec peu de vertus. Ce n'est plus cet esprit universel qui conçoit tout, et qui veut tout approfondir; mais c'est un homme gouverné par des fantaisies assez nouvelles pour donner un certain éclat et pour éblouir. Ce n'est plus ce guerrier intrépide qui ne craint et ne connaît aucun péril, mais un prince lâche, timide, et que sa brutalité abandonne dans les dangers; cruel dans la paix, faible à la guerre, admiré des étrangers, haï de ses sujets; un homme, enfin, qui a poussé le despotisme aussi loin qu'un souverain puisse le pousser, et dont la fortune a tenu lieu de sagesse; d'ailleurs, grand mécanicien, laborieux, industrieux, et prêt à tout sacrifier à sa curiosité.

Tel vous paraîtra, dans ces mémoires, le czar Pierre Ier. Et, quoiqu'on soit obligé de détruire une infinité de préjugés avant que d'avoir le cœur de se le représenter ainsi dépouillé de ses grandes qualités, il est cependant sûr que l'auteur n'avance rien qu'il ne soit pleinement en état de prouver.

On peut conclure de là qu'on ne saurait être assez sur ses gardes en jugeant les grands hommes. Tel qui a vu Pompée avec des yeux d'admiration dans l'Histoire romaine, le trouve bien différent quand il apprend à le connaître par les Lettres de Cicéron. C'est proprement de la faveur des historiens que dépend la réputation des princes. Quelques apparences de grandes actions ont déterminé les écrivains de ce siècle en faveur du Czar, et leur imagination a eu la générosité d'ajouter à son portrait ce qu'ils ont cru qui pouvait y manquer.

Il se peut qu'Alexandre n'ait été qu'un brigand fameux. Quinte-Curce a cependant trouvé le moyen, soit pour abuser de la crédulité des peuples, soit pour étaler l'élégance de son style, de le faire passer, dans l'esprit de tous les siècles, pour un des plus grands hommes que jamais la terre ait portés. Combien d'exemples ne fournissent pas les historiens d'une prédilection marquée pour la gloire de certains princes! Mais s'ils ont donné des exemples de leur bienveillance, l'histoire nous en fournit aussi de leur haine et de leur noirceur. Rappelez-vous les dif-