6. AU MÊME.

(Potsdam) 8 février (1756).

Ne m'accusez point de paresse, mon cher mylord; j'ai été si prodigieusement occupé depuis un temps (vous jugez bien de quoi291-a), qu'il m'a été impossible de vous écrire; l'agitation dure encore, et il faudra bien un mois pour que je puisse regagner la tranquillité propre à notre correspondance. Je ne vous en ai pas moins <261>d'obligation des graines de melon que vous avez eu la bonté de m'envoyer, ainsi que de la doctrine tolérante que vous vous efforcez d'introduire dans votre gouvernement. Ce serait couronner l'œuvre que de faire réussir cette loterie dont personne ne veut. Je crois qu'il faut être dissipateur et prodigue pour avoir du crédit; je vois que cela réussit partout; il faudra imiter les autres.

On menace votre gouvernement de Voltaire,291-b d'un tremblement de terre, de madame Denis et d'une comète; il ne faut qu'un de ces fléaux pour tout détruire. J'espère qu'il en sera de ces conjectures comme de bien d'autres. On a prophétisé à peu près les mêmes malheurs à la reine de Hongrie; j'en excepte Voltaire. Elle a indiqué des jeûnes, des prières; on expose le venerabile à Vienne. Sans doute qu'après cela le bon Dieu y pensera plus d'une fois avant que d'entamer l'Autriche. On vous dira sans doute, mon cher mylord, que je suis un peu moins jacobite292-a que je ne l'ai été; ne me prenez point en haine pour cela, et soyez persuadé que je vous estime toujours également. Adieu.


291-a Allusion au traité signé à Londres le 16 janvier 1756, et à l'arrivée du duc de Nivernois à Berlin, le 12 du même mois. Voyez t. IV, p. 36 et 37.

291-b Le 29 octobre 1755, Voltaire avait écrit à l'abbé de Prades, dans une lettre destinée à être communiquée au Roi : « J'ai un petit monastère auprès de Lausanne, sur le chemin de Neuf-+ châtel, et, si ma santé me l'avait permis, j'aurais été jusqu'à Neufchâtel pour voir mylord Marischal; mais j'aurais voulu pour cela des lettres d'obédience. »

292-a Voyez t. XIX, p. 48.