30. DU BARON DE L. M. FOUQUÉ.

Brandebourg, 22 avril 1764.



Sire,

Rien n'est plus humiliant que d'être réduit à la nécessité de se rétracter. Cependant, quoi qu'il en coûte, je me sens assez au-dessus de cette mauvaise honte, d'autant plus que, étant naturellement porté pour la sincérité et le vrai, ce caractère m'oblige donc à reconnaître mon erreur, en me déclarant en faveur de la fabrique de porcelaine de V. M., tant pour le relief de l'ouvrage que la vivacité des couleurs du service à thé, qui l'emporte sur ce que j'ai vu de celle de Saxe. Pour ce qui est de la tasse mosaïque, je m'imagine y trouver le pinceau de Watteau, tant elle est ravissante.

Vous avez, Sire, un talent bien particulier, puisque, au lieu de punir la témérité de mes doutes, je m'en trouve récompensé par ce beau présent. Si ce n'était la crainte d'être puni une seconde fois, je m'aviserais encore d'une autre réflexion, savoir, <130>si les experts de votre fabrique n'auront pas le sort de ces machinistes dont les modèles ne réussissent qu'en petit.

Vous ajoutez sans doute, Sire, une demi-année au cours de ma vie par l'envoi de l'oxycrat, dont je me servirai comme de remède. Je suis pénétré de tant de bienfaits, et ce qui me mortifie le plus, c'est le défaut de vous en pouvoir prouver ma reconnaissance et de témoigner à V. M. la réalité du zèle, de l'attachement et de la fidélité que j'ai pour sa personne.

Vivez, Sire, pour le bien de l'État et votre gloire. Exercez, manœuvrez, et vous fâchez un peu quelquefois; tout cela contribue à votre santé, selon le système de feu le vieux routier.147-a Je suis, etc.

P. S. Vous serez très-bien venu chez vous à Brandebourg, Sire, et vous y trouverez à midi le pot-au-feu d'un réfugié.


147-a Le prince Léopold d'Anhalt, que Frédéric mentionne, t. XVI, p. 92, sous le nom de la Barbe, et ci-dessus, p. 125, sous celui de Sylla.