<36>ici au rétablissement de ma santé; j'y suis depuis près de six mois. Douleurs, assiduité, dépense, j'ai tout sacrifié pour réussir; tout cela a été inutile, je ne me trouve pas mieux. On assure que c'est le scorbut, mêlé de virus, qui m'accable; on me demande encore jusqu'en janvier pour le détruire par des remèdes doux, mais sûrs, et qui ont besoin de cet air-ci pour avoir leur entier effet. Le médecin qui veut m'entreprendre n'exige d'être payé qu'après le succès; ma famille me presse de me mettre entre ses mains, et le veut sous peine d'exhérédation. Mes amis me sollicitent, l'amour de la vie m'en fait presque une loi; on ne me donne pas deux années à vivre, si je retourne avec mes maux. Mais je n'ai rien promis, et ne puis rien promettre; je dépends de vous, Sire, et j'en dépends bien plus encore par mon attachement et ma respectueuse reconnaissance que par le devoir. Ma situation est cruelle; je voudrais vivre, et je crains de déplaire à V. M. et de lasser ses bontés et sa patience. Mais le public ne sait pas, et vous l'ignorez peut-être vous-même, Sire, à quel point il faut vous être attaché quand on a le bonheur de vous connaître; et, si je vous sacrifie le risque de ma vie, on donnera plutôt cette démarche à l'intérêt et à l'ambition qu'à l'attachement, qui en est pourtant le vrai motif. Je ne veux aussi m'en rapporter qu'à V. M. même; je la supplie d'entrer dans ma situation, de fixer mon irrésolution, peine la plus cruelle de l'âme, et j'ose lui demander son conseil comme au meilleur esprit que je connaisse, et ses ordres comme au meilleur maître du monde; et ce sera sans répugnance que je les exécuterai, soit pour rester ici, si vous avez encore la bonté de m'accorder cette dernière grâce, soit pour retourner, dès que j'aurai reçu les ordres de V. M.; et la difficulté des chemins, la saison, mon état de faiblesse, rien enfin ne m'effrayera. Je remplirai la volonté de V. M., et, si je péris dans cette entreprise, je périrai au moins, à ma manière, au lit d'honneur.

J'ai fait auprès de M. d'Alembert les démarches que V. M. m'a prescrites. Il sent tout le prix de la place que vos bontés lui destinent, il en est pénétré de reconnaissance; mais l'amour de la patrie, la jouissance d'une vie absolument libre, la crainte de perdre le commerce de ses amis, une santé délicate qui ne se sou-