<296>nant, mon cher mylord, que mon chèvrefeuille est sorti, que mon sureau va débourgeonner, et que les oies sauvages sont déjà de retour. Si je savais quelque chose de plus capable de vous attirer, je le dirais également; car je n'ai pas la présomption que ce peut être l'amitié et l'estime avec laquelle je suis, mon cher mylord, etc.

48. AU MÊME.

Berlin, 7 avril 1764.

J'ai reçu, mon cher mylord, votre lettre à mon retour de Silésie, où j'ai été panser les plaies que la guerre avait faites à cette province. Je suis charmé de l'espérance que vous me donnez de nous revoir; j'ai toujours espéré que cette consolation me resterait encore. Votre graine de fraises est très-bien arrivée; mon jardinier l'a, et j'espère que je pourrai vous en offrir dans mon jardin. Ces Mémoires dont vous parlez, et que je viens d'achever, me convainquent de plus en plus qu'écrire l'histoire est compiler les sottises des hommes et les coups du hasard. Tout roule sur ces deux articles, et voilà comme le monde va depuis l'éternité. Nous sommes une pauvre espèce qui se donne bien du mouvement pendant le peu de temps qu'elle végète sur ce petit atome de boue qu'on nomme le monde. Quiconque coule ses jours dans la tranquillité et le repos, jusqu'à ce que sa machine se décompose, est peut-être plus sensé que ceux qui, par tant de circuits tortueux et hérissés d'épines, descendent au tombeau. Malgré cela, je suis obligé de tourner comme la roue d'un moulin que l'eau pousse, parce qu'on est entraîné par son destin, et qu'on n'est pas maître de faire ou de laisser ce que l'on veut.

Le beau temps vient d'arriver; je vais me sauver dans mon jardin pour examiner à mon aise les progrès du printemps, voir éclore et fleurir, et, pour me servir d'une expression de Fontenelle, je prendrai la nature sur le fait, in flagranti.