<295>Je ne m'étonne point que les Écossais se battent pour vous conserver chez eux, qu'ils veuillent avoir de votre race et conserver vos ossements. Vous avez de votre vivant le sort qu'Homère eut après sa mort; plusieurs villes se disputèrent l'honneur d'être sa patrie; je le disputerais bien avec les habitants d'Édimbourg pour vous posséder. Si j'avais des vaisseaux, je méditerais une descente en Écosse pour en enlever mon cher mylord et pour l'amener ici. Mais nos barques de l'Elbe sont peu propres à une pareille expédition, et mon imagination se met en frais inutiles pour inventer le projet de votre enlèvement. Il n'y a que sur vous que je puisse compter; je souhaite que le temps soit assez rude dans vos montagnes pour vous faire désirer un ciel plus tempéré. Vous me donnez des espérances que je saisis avidement. J'ai été l'ami de votre défunt frère, je lui avais des obligations; je suis le vôtre de cœur et d'âme. Voilà mes titres, voilà les droits que j'ai sur vous. On ne vous forcera point ici à faire l'étalon; vous n'aurez ni prêtres ni procureurs à redouter; vous vivrez ici dans le sein de l'amitié, de la liberté et de la philosophie. Il n'y a que cela dans le monde, mon cher mylord; quand on a passé par toutes les métamorphoses des états, quand on a goûté de tout, on en revient là. Je travaille ici à écrire mes sottises politiques et guerrières;a je lis les Géorgiques de Virgile le soir, au coin de mon feu, et le matin je fais donner au diable mon jardinier, qui dit que Virgile et moi nous n'avons pas le sens commun, et que nous n'entendons rien à son métier. Pour moi, je suis honteux que mon érudition soit si peu prisée, et le lendemain c'est à recommencer. Voilà, mon cher mylord, un récit fidèle de la vie que je mène dans ma retraite.

J'ai ici deux de mes neveux de Brunswica qui promettent beaucoup, et qui ont trouvé l'art de réunir, à leur âge, la vivacité de la jeunesse avec la sagesse des vieillards. Ils sont remplis de connaissances, et ils ont un désir ardent de s'instruire sur tout ce qui est digne d'être appris. Je finis ma lettre en vous appre-


a Voyez t. IV, p. II.

a Les princes Frédéric et Guillaume. Voyez, t. XIII, p. 6-9, l'Épître que Frédéric a adressée à ces deux jeunes princes.