186. AU MÊME.

Camp d'Ottmachau, 25 juillet 1761.

Je vous remercie, mon cher marquis, des éclaircissements que vous me donnez sur les opinions de Gassendi. Je m'étais bien douté qu'un esprit aussi conséquent ne donnerait pas dans de certains préjugés, que j'ai d'abord mis sur le compte de Bernier. C'est bien dommage que nous n'ayons pas une traduction fidèle et complète des œuvres de ce philosophe. Moi, pauvre ignorant, j'y perds le plus; vous autres, vous lisez le latin, le grec, l'hébreu, etc., pendant que je ne sais qu'un peu de français, et, quand celui-là me manque, je demeure plongé dans la plus crasse ignorance.

Cependant je vous en crois plus sur la philosophie que sur vos prophéties politiques. Il est très-vrai que, en jugeant par les apparences, il semble que la paix avec l'Angleterre et la France doive être une suite de la victoire du prince Ferdinand; cependant rien n'est moins certain, et je ne crois ces sortes de choses qu'après que l'événement les a réalisées. Vous me demandez sans doute des nouvelles de ce qui se passe ici, et je comprends bien qu'un citadin de Berlin doit être curieux de savoir comment nous <247>guerroyons en Silésie. Je puis vous satisfaire en peu de mots. Loudon a, le 20, débouché des montagnes, et s'est avancé vers Münsterberg; j'ai marché le 21 à Nimptsch, le 22 j'ai passé à Münsterberg à sa barbe, et je suis venu ici pour m'opposer à la jonction qu'il projette avec les Russes. Ceux-ci sont à Namslau; j'ai des corps qui les observent; ainsi, de quelque côté qu'ils veuillent tourner, j'espère de pouvoir les prévenir. Toute cette affaire doit se décider dans peu de jours; vous serez instruit de tout, et je ne manquerai pas de vous articuler les faits avec la plus grande vérité. Je vous en dirais davantage; mais le courrier qui est chargé des dépêches importantes est sur le point de partir, ce qui m'oblige à vous assurer simplement de mon amitié et de mon estime. Adieu.