172. DU MARQUIS D'ARGENS.

Berlin. 16 mai 1761.



Sire,

J'apprends par toutes les nouvelles publiques que Votre Majesté est arrivée heureusement en Silésie, et qu'à son approche ses ennemis se sont retirés vers la Bohême. Je ne doute pas que vous ne lassiez une campagne heureuse et digne d'un héros tel que vous, dont la fortune rougirait de ne pas couronner à la fin la constance et la valeur.

Les gazettes avaient dit que Voltaire avait obtenu la liberté de retourner à Paris; mais cela ne s'est point confirmé. Si cette nouvelle avait été vraie, ce rappel aurait été occasionné par un <228>bien mauvais livre. J'aimerais mieux être exilé jusqu'à la fin de ma vie que d'avoir seulement l'idée d'en faire un pareil.

Je travaille à la traduction de Plutarque, et j'espère que j'en aurai fait une bonne partie avant le commencement de l'année prochaine. Je vous ai toujours présent devant les yeux, et je me dis sans cesse à moi-même, en travaillant : Prends garde à toi, et songe à ce que dira le Roi.

Je pars demain pour la campagne. V. M. me fera toujours la grâce d'adresser à Berlin les lettres dont elle voudra m'honorer, et M. Jordan, maître des postes, me les fera remettre exactement.

J'espère que V. M. jouit d'une bonne santé. L'exercice et l'occupation dissiperont les humeurs causées par la vie sédentaire de cet hiver. Je suis bien résolu de suivre le conseil que me donne V. M. à ce sujet, car je m'aperçois que j'ai plus ou moins de mal à l'estomac, selon le plus ou le moins d'exercice que je fais. N'allez pourtant pas me proposer une compagnie dans un bataillon franc, à moins que vous ne fassiez un concordat avec vos ennemis, par lequel on ne se battra qu'à onze heures du matin. J'ai l'honneur, etc.