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148. DU MARQUIS D'ARGENS.

Berlin, 25 septembre 1760.



Sire,

J'espère que Votre Majesté aura reçu trois lettres que j'ai eu l'honneur de lui écrire depuis la dernière bataille quelle a gagnée. Vous me mandiez, il y a environ un mois, que toute la boutique s'en allait au diable. Depuis ce temps, vous avez payé à vue les lettres de change de Loudon, vous avez acquitté celles de Beck; Hiilsen, votre commis en Saxe, a satisfait aux différentes remises du prince de Deux-Ponts. Il me paraît que, si vous payez encore une seule dette avant le mois de novembre, vous serez un des négociants dont la boutique et les affaires sont les mieux réglées.

La classe de physique et de chimie a perdu son directeur par la mort de M. Eller.218-a L'Académie en corps, les curateurs et les directeurs ont élu d'abord, selon l'ordonnance de V. M. et l'article IX du règlement de l'Académie, portant : « Lorsqu'un directeur viendra à mourir, sa place sera donnée, à la nomination de tous les académiciens, à un membre pensionnaire de la classe dudit directeur mort. » En conséquence du règlement, l'Académie a nommé M. Marggraf, sans contredit le plus habile chimiste de l'Europe, grand physicien, et que les Académies de Paris et de Londres consultent comme un oracle. L'Académie m'a chargé, Sire, comme directeur d'une classe, d'instruire V. M. de son choix et de son exactitude à suivre les règlements que vous lui avez fait prescrire par feu M. de Maupertuis, et qu'elle observera toujours avec la plus grande rigueur, pour mériter de plus en plus, par son zèle pour l'honneur des sciences et par son obéissance à vos ordonnances, la continuation de votre auguste protection.

Il me paraît, Sire, que voilà de grandes et nobles phrases, et que, parlant en directeur chargé des ordres de l'Académie, je n'ai point le style d'un aigrefin plus errant que le juif dont j'empruntai jadis et le style, et le masque.219-a V. M. a-t-elle vu un petit poëme <195>de Voltaire, intitulé le Pauvre Diable? C'est une pièce fort plaisante, mais remplie de traits satiriques contre plusieurs auteurs qu'il n'aime pas; je l'enverrai par le premier courrier à V. M.

Je pense qu'il importe fort peu aujourd'hui à la politique de savoir où se trouve le prétendant; cependant je crois devoir copier ici l'article d'une lettre écrite à un de nos académiciens, Suisse de nation, nommé Merian, intime ami de feu Maupertuis, et homme sage et de beaucoup de mérite. Cette lettre est écrite de Bouillon, auprès de Sedan : « Nous avons ici un personnage qui a bien fait du bruit par ses prétentions, et dont la postérité parlera avantageusement jusqu'au moment de sa sortie de France. Il vit ici en bourgeois; je le vois souvent, mais je cesserai bientôt de le voir, parce qu'il est d'un caractère insupportable. Il est singulier de voir tant de bizarrerie, de bassesse et d'orgueil joints ensemble; ajoutez à cela : de mauvaise humeur. »

J'attends, Sire, des nouvelles de la santé de V. M. avec le même empressement que les juifs attendent le Messie, et les jansénistes la grâce efficace. Si vous n'avez pas le temps de m'écrire un mot, faites-moi savoir par quelqu'un que vous vous portez bien. Voilà tout ce qui m'intéresse; il me paraît que cela est bien vite écrit : Le Roi se porte bien. C'est tout ce que je veux savoir. J'ai l'honneur, etc.


218-a Voyez t. XVI, p. XII, no XI, et p. 197-201.

219-a Voyez t. XIII, p. 221, v. 12.