43. DU MARQUIS D'ARGENS.

Berlin, 29 avril 1758.



Sire,

J'ai trouvé dans la lettre que Votre Majesté m'a fait l'honneur de m'écrire de nouvelles marques de ses bontés. Vous ressemblez, Sire, à ces génies bienfaisants des anciens, qui se faisaient connaître à ceux qu'ils protégeaient, en les accablant toujours de nouveaux bienfaits. Quand serai-je assez heureux pour pouvoir vous remercier à Sans-Souci de toutes vos grâces, et vous y voir jouir d'une paix que vos glorieux travaux vous auront procurée? Vous me dites que vous vous préparez à aller combattre vos ennemis. C'est me dire que vous allez les vaincre; mais je n'en suis pas moins alarmé. Je crains sans cesse, ainsi que tous vos fidèles sujets, dont vous êtes le père, qu'il ne vous arrive quelque accident. C'est dans vous seul que réside la gloire et le bonheur de tous vos États.

Je ne sais, Sire, si je pourrai profiter du congé que vous avez daigné m'accorder, à cause de la grande faiblesse dont je suis encore. Pour faciliter un voyage qui m'est si nécessaire, V. M. pourrait me rendre le plus grand service, si à tant de grâces qu'elle m'a faites elle en ajoutait encore une dernière, car, après cela, ce serait abuser des bontés de V. M. que de l'importuner davantage. J'ai trouvé à Berlin un de mes cousins germains, M. de Mons, capitaine au régiment de Piémont; c'est un jeune homme de trente-trois ans, dont la conduite à Berlin et à Magdebourg a mérité l'estime publique et l'amitié de M. de Seydlitz, qui pourra rendre compte à V. M. de son caractère. Si elle daignait lui accorder la permission d'aller à Aix sur sa parole, il m'accompagnerait jusqu'à Chambéry, après quoi je continuerais ma route par la Savoie pour Nice, et lui la sienne pour Aix par le <51>Dauphiné. Il me serait de la plus grande utilité d'avoir la compagnie d'un officier français jusqu'en Suisse, et surtout d'un parent et d'un ami. J'ose ajouter à ces premières raisons que toute ma famille, et ma mère surtout, dont j'attends la plus grande partie de ce que je dois avoir, me saura un gré infini de ce congé. Ainsi, Sire, si vous m'accordez cette grâce, après m'avoir vous-même accablé de bienfaits, vous me procurerez de nouveaux biens dans ma patrie, et vous me ferez terminer aisément les discussions que je serai peut-être obligé d'essuyer. Pardonnez-moi, Sire, si je vous écris aussi longuement dans le temps que vous êtes occupé des affaires les plus sérieuses; mais je connais l'excès de vos bontés, et vous ne sauriez croire le bien que vous me ferez, si vous m'accordez la grâce que je prends la liberté de vous demander. J'ai l'honneur, etc.