<68>Vous, dont le foyer brillant éteint toutes les autres lumières, vous, qui avez profité plus qu'aucun autre mortel du rapt de Prométhée, vous pouvez travailler, éclairer le monde par vos productions, l'amuser et l'instruire. Mais pour moi, mon cher marquis, il n'y a plus que le tombeau qui me convient pour ensevelir les restes usés d'un homme qui vous a aimé, et qui vous aimera jusqu'au dernier soupir. Adieu.

57. AU MÊME.

Landeshut, 12 mai 1759.

Vos projets sont excellents, mon cher marquis; il faut persifler nos ennemis et les battre, si nous le pouvons. Mon frère Henri y fera son possible; pour de ce côté-ci, tout est tranquille, et il y a apparence que cela continuera jusqu'à la fin du mois. Si une fois le diable est aux champs, ce sera un beau bruit et une héroïque confusion, suivie d'une boucherie tragique; c'est de quoi il faut attendre l'événement en patience. Vous croyez, mon cher marquis, que notre ouvrage est perpétuel; cependant il se trouve toujours quelque calme parmi la tempête, qui laisse le temps de faire des bagatelles. Mes vers sont bons pour vous et Catt; mais d'ailleurs c'est peu de chose, et, comme on les peut faire sans peine, ils ne méritent aucune attention.

Des vers languissants, chevillés,
Que Bernisa fait à la douzaine,
De petits mots entortillés,
Des zéphyrs, de la marjolaine,
Un ruisseau coulant sur l'arène,
Des chiffres tendrement taillés
Sur l'écorce antique d'un chêne,
Méritent, marquis, pour leur peine,
D'être à jamais oubliés.


a Voyez t. X, p. 123, et ci-dessus, p. 25.