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314. DU MARQUIS D'ARGENS.

Potsdam, 26 septembre 1768.



Sire,

Votre Majesté ne jugeant pas à propos de m'accorder un congé pour rétablir ma santé, j'ose la supplier de permettre que je me retire pour toujours, l'état où je me trouve ne me permettant plus de surmonter la faiblesse qui est une suite nécessaire de l'âge avancé. Je ne suis venu de Provence, il y a deux ans, que dans l'espérance que j'aurais assez de force pour remplir mon devoir. Les frais de deux voyages aussi longs pour moi que celui de venir de Provence et d'y retourner prouvent évidemment que ce n'a pas été l'intérêt qui m'a ramené à Berlin. L'envie de profiter des dons de V. M. ne m'a jamais conduit; elle me rendra la justice de ne l'avoir point importunée pendant la guerre,a quoique les billets, la mauvaise monnaie et plusieurs voyages causés par de fâcheux accidents m'aient obligé de dépenser, depuis le siége de Prague jusqu'à la paix, quatre mille écus de mon bien. Je ne quitte pas le service de V. M. pour celui d'un autre prince; ce n'est ni l'argent, ni l'ambition, ni aucune autre idée de fortune, qui m'engagent à me retirer; c'est l'impossibilité, Sire, de pouvoir servir. Je ne crois pas que ce soit un crime dans aucun pays du monde de souhaiter, quand on est vieux et à demi perclus, d'aller dans un climat chaud soulager ses maux; ce n'est pas demander une grâce trop grande, après avoir servi plus d'un quart de siècle comme un honnête homme et sans reproche, que celle de se retirer dans une paisible retraite. J'ai toujours été si véritablement attaché à V. M., et j'ai admiré avec tant de zèle ses éminentes qualités, que je ne saurais penser qu'elle voulût me mortifier parce que je désire de finir tranquillement le peu de jours qui me restent. V. M. a trop d'humanité pour regarder comme une chose condamnable la nécessité où je suis de rétablir ma santé.


a Voyez ci-dessus, p. 177.