<36>et qu'elle daignera se rappeler que, n'ayant jamais, pendant dix ans que j'ai été capitaine d'infanterie, dépensé trente écus en recrues, il me serait bien fâcheux de les payer aujourd'hui en qualité de philosophe. Je suis, etc.a

28. AU MARQUIS D'ARGENS.

Vous savez, M. le marquis, que je suis l'animal le plus indulgent de ce siècle, que, avec cela, je n'envie le bonheur de personne; jugez donc si je ne consens pas d'avance au délicieux état de malade que vous voulez vous constater pour le courant de cette année. Voltaire n'est pas plus fécond en malices, Maupertuis en inquiétudes, les bordels en c....., et les églises en sermons absurdes, que vous l'êtes en maladies nouvelles. Fasse le ciel qu'il n'y en ait aucune de dangereuse! Mais, comme il faudra bien que je renonce à vous voir en ce monde-ci, je vous donne rendez-vous dans la vallée de Josaphat,b où je compte vous donner les tableaux de Sans-Souci que votre cupidité vous fait envier depuis longtemps, où nous pourrons achever Tacite ensemble, et où j'aurai l'honneur de vous assurer de l'admiration que j'ai pour toutes vos maladies, et du zèle avec lequel je soutiendrai contre quoscunque qu'Hippocrate, Galien et Esculape même n'ont jamais eu à traiter de plus longues maladies que les vôtres. J'ai l'honneur d'être,



Monsieur le marquis,

le plus dévoué serviteur de vos infirmités,
Le Philosophe de Sans-Souci.


a On lit, au revers de cette lettre, ces mots de la main d'un conseiller de Cabinet :
     « Que le Roi l'avait dispensé, lui et l'abbé de Prades également, des droits ordinaires des caisses des recrues et du timbre, en conséquence de l'ordre qu'il venait de donner. »

b Le prophète Joël, chap. III, v. 6 et suivants.