<208>honneur m'y engagent. Malgré tout cela, malgré mon stoïcisme et toute ma persévérance, j'éprouve souvent des moments où il y a de quoi se donner au diable; mais par bonheur cela est impossible, vous savez pourquoi. Je crois que je pourrai bien passer quelques semaines à Leipzig; cela se pourra, à ce que j'espère, au mois de décembre. Mandez-moi, s'il vous plaît, si, sans trop exiger de vous, je pourrais vous proposer d'y faire un tour. En cas que cela se puisse sans déranger votre santé, je me charge d'arranger votre voyage et d'avoir soin de toutes vos petites commodités. J'attends sur cela votre réponse, résigné d'avance à voir manquer mon projet, s'il ne vous convient pas. Adieu, mon cher marquis; portez-vous bien, et faites des vœux pour un pauvre diable qui s'en ira voyager dans cette prairie plantée d'asphodèle,a si la paix ne se fait pas.

Si vous pouvez entreprendre ce voyage, vous me ferez plaisir de m'apporter tout ce qui a paru de nouveau de Voltaire, ou tout ce qu'on lui attribue, et le volume de l'Encyclopédie où il y a l'article Grammaire.

157. DU MARQUIS D'ARGENS.

Berlin, 28 novembre 1760.



Sire,

Comment Votre Majesté a-t-elle pu penser que, malade ou en santé, je balancerais un instant à me rendre à Leipzig pour avoir le bonheur de la voir? Si je ne pouvais pas y aller en carrosse, je me ferais porter sur un brancard; rien ne pourra m'empêcher


a Dans la description que Lucien donne de l'enfer, dans son traité du Deuil (traduction de d'Ablancourt, Amsterdam, 1709, in-8, t. II, p. 174) il dit : « Au delà du marais est un grand pré d'asphodèle, à travers lequel passe le fleuve d'oubli, etc. » Voyez aussi l'Odyssée d'Homère, ch. XI, v. 539 et 573, et ch. XXIV, v. 13.