<200>mon coup de grâce. Je ne vous dis pas ce que je pense, ni ce que je médite; mais vous vous figurez sans doute ce qui se passe dans le fond de mon âme, les agitations de mon esprit, et quelles sont mes pensées.

Votre lettre m'a fait plaisir, si l'on peut éprouver quelque sentiment approchant dans l'ouragan, dans ces temps de trouble, de subversion de toutes choses, parmi le ravage, la mort et la destruction. Je vois que vous avez conservé une âme tranquille au milieu des oursomanes et des Autrichiens, et que votre santé n'en a point souffert. La copie de la lettre que vous m'envoyez est réellement de moi, hors quelques fautes de style qui s'y seront apparemment glissées en la transcrivant. Ainsi la fin de mes jours est empoisonnée; ainsi, cher marquis, la fortune se joue des faibles mortels; mais, las de ses faveurs et de ses caprices, je pense à me procurer une situation où je n'aurai rien à craindre ni des hommes, ni des dieux. Adieu, mon cher marquis; tranquillisez-vous, et relisez le second chant de Virgile, où vous verrez l'image de ce qu'a souffert à peu près ma patrie. Écrivez-moi, vous en avez le loisir, et ne m'oubliez pas.

151. DU MARQUIS D'ARGENS.

Berlin, 22 octobre 1760.



Sire,

J'espère que Votre Majesté aura reçu la longue lettre que j'eus l'honneur de lui écrire il y a deux jours, dans laquelle je prenais la liberté de l'instruire de tout ce que j'avais vu moi-même pendant la courte irruption que les ennemis ont faite à Berlin. Leur mauvaise volonté a produit peu d'effet, et l'on retrouve tous les jours tout ce qu'ils ont vendu ou dispersé. Actuellement, la seule chose qui occupe la ville, c'est l'impossibilité où se trouve la moitié des citoyens de payer la contribution. M. Gotzkowsky, Sire, qui s'est distingué par le zèle qu'il a fait paraître pour les inté-